es ouvrages d'Abelard, le
fond et les details de ses doctrines, les procedes de son esprit, les
formes de son style, d'eclairer ainsi, a sa lumiere, toute une periode
encore obscure de la vie intellectuelle de la societe francaise. Qu'on
ne s'attende donc point a trouver seulement ici des fragments epars
de philosophie ou de theologie; mais bien une philosophie, mais une
theologie, chacune avec ses principes, sa methode et son langage,
chacune telle qu'un vieux passe l'a connue, admiree, celebree, alors que
l'ecole etait pour nos aieux ce que la presse est devenue pour leurs
enfants. Au lieu de presenter des considerations generales sur l'esprit
de notre philosophe, nous suivrons cet esprit dans sa marche, nous le
decrirons dans ses monuments. Ce ne sera pas une simple critique, mais,
s'il est possible, une reproduction du genie d'un homme. Ce sera en meme
temps, si nos forces ne trahissent pas nos desseins, une introduction
utile a l'etude de la scolastique, et par consequent a l'histoire de
l'esprit humain dans le moyen age.
Cet ouvrage devra toute son originalite a son exactitude, et rien
n'y paraitra nouveau que ce qui sera scrupuleusement historique.
L'intelligence et le savoir affectaient jadis des formes si differentes
de celles qui nous semblent aujourd'hui les plus naturelles, peut-etre
parce qu'elles nous sont les plus familieres; le caractere des
questions, le choix des arguments, la portee des solutions, tout est si
etrange chez les scolastiques, que la raison meme, dans leurs livres,
n'est pas toujours reconnaissable, et que le bon sens y prend
quelquefois une tournure de paradoxe. La scolastique produit aujourd'hui
l'effet d'une science en desuetude qui etonne et ne persuade plus.
Cependant, pour qui ne s'en tient pas a l'apparence, pour qui brise
l'enveloppe que pretaient a la pensee le gout et l'erudition du temps,
la scolastique contient dans son sein, elle offre dans son cours et les
problemes de tous les siecles et quelquefois les idees du notre. C'est
que les formes de la science peuvent varier, mais le fond est invariable
comme l'esprit humain. Les Grecs n'ont presque rien dit a la maniere
des modernes, et cependant ils ont connu tous les systemes, toutes les
hypotheses dont les modernes se sont vantes. Je ne sais pas meme une
erreur dans laquelle ils ne nous aient devances. Quand on lit les
Dialogues de Platon, on y voit figurer, sous des noms antiques, Hobbes,
Locke, Hume et Kant lui-meme. Ainsi
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