et enfant, qui est assis sur un banc du jardin des Tuileries, comme il
est gentil! Un homme, mu par un dessein cache, vient s'asseoir a cote de
lui, sur le meme banc, avec des allures equivoques. Qui est-ce? Je n'ai
pas besoin de vous le dire; car, vous le reconnaitrez a sa conversation
tortueuse. Ecoutons-les, ne les derangeons pas:
--A quoi pensais-tu, enfant?
--Je pensais au ciel.
--Il n'est pas necessaire que tu penses au ciel; c'est deja assez de
penser a la terre. Es-tu fatigue de vivre, toi qui viens a peine de
naitre?
--Non, mais chacun prefere le ciel a la terre.
--Eh bien, pas moi. Car, puisque le ciel a ete fait par Dieu, ainsi que
la terre, sois sur que tu y rencontreras les memes maux qu'ici-bas.
Apres ta mort, tu ne seras pas recompense d'apres tes merites; car, si
l'on te commet des injustices sur cette terre (comme tu l'eprouveras,
par experience, plus tard), il n'y a pas de raison pour que, dans
l'autre vie, on ne t'en commette non plus. Ce que tu as de mieux a
faire, c'est de ne pas penser a Dieu, et de te faire justice toi-meme,
puisqu'on te la refuse. Si un de tes camarades t'offensait, est-ce que
tu ne serais pas heureux de le tuer?
--Mais, c'est defendu.
--Ce n'est pas si defendu que tu crois. Il s'agit seulement de ne pas se
laisser attraper. La justice qu'apportent les lois ne vaut rien; c'est
la jurisprudence de l'offense qui compte. Si tu detestais un de tes
camarades, est-ce que tu ne serais pas malheureux de songer qu'a chaque
instant tu aies sa pensee devant tes yeux?
--C'est vrai.
--Voila donc un de tes camarades qui te rendrait malheureux toute ta
vie: car, voyant que ta haine n'est que passive, il ne continuera pas
moins de se narguer de toi, et de te causer du mal impunement. Il n'y a
donc qu'un moyen de faire cesser la situation; c'est de se debarrasser
de son ennemi. Voila ou je voulais en venir, pour te faire comprendre
sur quelles bases est fondee la societe actuelle. Chacun doit se faire
justice lui-meme, sinon il n'est qu'un imbecile. Celui qui remporte la
victoire sur ses semblables, celui-la est le plus ruse et le plus fort.
Est-ce que tu ne voudrais pas un jour dominer tes semblables?
--Oui, oui.
--Sois donc le plus fort et le plus ruse. Tu es encore trop jeune pour
etre le plus fort; mais, des aujourd'hui, tu peux employer la ruse, le
plus bel instrument des hommes de genie. Lorsque le berger David
atteignait au front le geant Goliath d'une pierre lance
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