poussiere. Voyez ce chiffonnier qui passe, courbe sur sa
lanterne palotte; il y a en lui plus de coeur que dans tous ses pareils
de l'omnibus. Il vient de ramasser l'enfant; soyez sur qu'il le guerira
et ne l'abandonnera pas, comme ont fait ses parents. Il s'enfuit!... Il
s'enfuit!... Mais, de l'endroit ou il se trouve, le regard percant du
chiffonnier le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au milieu de
la poussiere!... Race stupide et idiote! Tu te repentiras de te conduire
ainsi. C'est moi qui te le dis. Tu t'en repentiras, va! tu t'en
repentiras. Ma poesie ne consistera qu'a attaquer, par tous les moyens,
l'homme, cette bete fauve, et le Createur, qui n'aurait pas du engendrer
une pareille vermine. Les volumes s'entasseront sur les volumes, jusqu'a
la fin de ma vie, et cependant, l'on n'y verra que cette seule idee,
toujours presente a ma conscience!
* * * * *
Faisant ma promenade quotidienne, chaque jour je passais dans une rue
etroite: chaque jour, une jeune fille svelte de dix ans me suivait, a
distance, respectueusement, le long de cette rue, en me regardant avec
des paupieres sympathiques et curieuses. Elle etait grande pour son age
et avait la taille elancee. D'abondants cheveux noirs, separes en deux
sur la tete, tombaient en tresses independantes sur des epaules
marmoreennes. Un jour, elle me suivait comme de coutume; les bras
musculeux d'une femme du peuple la saisit par les cheveux, comme le
tourbillon saisit la feuille, appliqua deux gifles brutales sur une joue
fiere et muette, et ramena dans la maison cette conscience egaree. En
vain, je faisais l'insouciant; elle ne manquait jamais de me poursuivre
de sa presence inopportune. Lorsque j'enjambais une autre rue, pour
continuer mon chemin, elle s'arretait, faisant un violent effort sur
elle-meme, au terme de cette rue etroite, immobile comme la statue du
Silence, et ne cessait de regarder devant elle, jusqu'a ce que je
disparusse. Une fois, cette jeune fille me preceda dans la rue, et
emboita le pas devant moi. Si j'allais vite pour la depasser, elle
courait presque pour maintenir la distance egale; mais, si je
ralentissais le pas, pour qu'il y eut un intervalle de chemin, assez
grand entre elle et moi, alors, elle le ralentissait aussi, et y mettait
la grace de l'enfance. Arrivee au terme de la rue, elle se retourna
lentement, de maniere a me barrer le passage. Je n'eus pas le temps
de m'esquiver, et je me trouvai
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