raits des autres voyageurs les memes sentiments que ceux des deux
premiers. Les cris se font encore entendre pendant deux ou trois
minutes, plus percants de seconde en seconde. L'on voit des fenetres
s'ouvrir sur le boulevard, et une figure effaree, une lumiere a la main,
apres avoir jete les yeux sur la chaussee, refermer le volet avec
impetuosite, pour ne plus reparaitre ... Il s'enfuit!... Il s'enfuit!...
Mais, une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au
milieu de la poussiere. Seul, un jeune homme, plonge dans la reverie, au
milieu de ces personnages de pierre, parait ressentir de la pitie pour
le malheur. En faveur de l'enfant, qui croit pouvoir l'atteindre, avec
ses petites jambes endolories, il n'ose pas elever la voix; car les
autres hommes lui jettent des regards de mepris et d'autorite, et il
sait qu'il ne peut rien faire contre tous. Le coude appuye sur ses
genoux et la tete entre ses mains, il se demande, stupefait, si c'est la
vraiment ce qu'on appelle _la charite humaine_. Il reconnait alors que
ce n'est qu'un vain mot, qu'on ne trouve plus meme dans le dictionnaire
de la poesie, et avoue avec franchise son erreur. Il se dit: "En effet,
pourquoi s'interesser a un petit enfant? Laissons-le de cote."
Cependant, une larme brulante a roule sur la joue de cet adolescent, qui
vient de blasphemer. Il passe peniblement la main sur son front, comme
pour en ecarter un nuage dont l'opacite obscurcit son intelligence. Il
se demene, mais en vain, dans le siecle ou il a ete jete; il sent qu'il
n'y est pas a sa place, et cependant il ne peut en sortir. Prison
terrible! Fatalite hideuse! Lombano, je suis content de toi depuis ce
jour! Je ne cessais pas de t'observer, pendant que ma figure respirait
la meme indifference que celle des autres voyageurs. L'adolescent se
leve, dans un mouvement d'indignation, et veut se retirer, pour ne pas
participer, meme involontairement, a une mauvaise action. Je lui fais un
signe, et il se remet a mon cote ... Il s'enfuit! Il s'enfuit!... Mais
une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ces traces, au
milieu de la poussiere. Les cris cessent subitement, car l'enfant a
touche du pied contre un pave en saillie, et s'est fait une blessure
a la tete, en tombant. L'omnibus a disparu a l'horizon et l'on ne voit
plus que la rue silencieuse ... Il s'enfuit!... Il s'enfuit!... Mais une
masse informe ne le poursuit plus avec acharnement, sur ces traces, au
milieu de la
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