avec un peu de vulgarite.
Son impartialite, relative, comme toute impartialite, mais reelle,
sa modestie, sa loyaute de savant, nonobstant ses petites ruses et
malignites de bon apotre, surtout son solide, profond et plein esprit de
tolerance, le font aimer quoi qu'on en puisse avoir. La tolerance etait
son fond meme, et l'etoffe de son ame. Quand il s'anime, quand il
s'eleve, quand il oublie sa nonchalance, quand il montre soudain de
l'ardeur, de la conviction, une maniere d'onction meme, c'est qu'il
s'agit de tolerance, c'est qu'il a a exprimer son horreur des
persecutions, des guerres civiles, des guerres religieuses, du
fanatisme, de la stupidite de la foule tuant pour le service d'une idee
qu'elle ne comprend pas, et en l'honneur d'un contresens. Il n'a pas
dit: "Aimez-vous les uns les autres": mais il a repete toute sa vie,
avec une veritable angoisse et une vraie pitie: "Supportez-vous les uns
les autres." C'est la qu'est la difference, et pourquoi il ne faut pas
dire comme Voltaire: "C'etait une ame divine." Mais c'etait une ame
honnete, droite et bonne.
Malgre sa prolixite, il est extremement agreable a lire; car si ses
articles sont longs, son style est vif, aise, franc, et va quelquefois
jusqu'a etre court. Il a deux manieres, celle du haut des pages et celle
des notes. En grosses lettres il est sec, compact, tasse et lourd; en
petit texte il s'abandonne, il cause, il laisse abonder le flot presse
de ses souvenirs, il plaisante, avec sa bonhomie narquoise, malicieuse
et prudente, et tres souvent, presque toujours, il est charmant.
On dirait un de ces professeurs qui en chaire sont un peu gourmes,
contraints et retenus, mais qui vous accompagnent apres le cours tout
le long des quais, et alors sont extremement instructifs, amusants,
profonds et puissants, a la rencontre, et se sentent tellement
interessants qu'ils ne peuvent plus vous quitter. C'est au sortir du
cours qu'il faut prendre Bayle; tout le suc de sa pensee et toute
la fleur de son esprit sont dans ses notes, dont certaines sont des
chefs-d'oeuvre. Ici encore on retrouve la timidite un peu cauteleuse de
Bayle, qui ne se decide a se livrer que dans un semblant de huis-clos,
dans un enseignement au moins apparemment confidentiel.
Il a beaucoup d'esprit, et un esprit tres particulier, une maniere
d'_humour_ naive, de malice qui semble ingenue, avec toutes sortes
d'epigrammes qui ressemblent a des traits de candeur. C'est le
scepticisme joint a la
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