ayle a ete l'amant de Madame
Jurieu.
Sans trop les lui reprocher, il faut signaler encore ses artifices et
ses petites roueries de faux bonhomme. Il use d'abord de la classique
ruse de guerre employee, ce me semble, deja avant Montaigne, et, depuis
Montaigne jusqu'a nos jours, tellement pratiquee, qu'elle ne trompe
personne, et meme que personne n'y fait attention. Elle consiste, comme
vous savez bien, a presenter l'impuissance de la raison a demontrer Dieu
comme une preuve de la necessite de la foi, et par consequent tout livre
rationnellement atheistique comme une introduction a la vie devote. A
ce compte, on est bien tranquille. Bayle a abuse de ce detour. Ce lui
devient une _clausula_ et comme un refrain. On est toujours sur a
l'avance que tout article sur le platonisme, le manicheisme, le
socinianisme, la creation, le peche originel ou l'immortalite de l'ame,
finira par la.
Il a d'autres stratagemes, j'ai presque envie de dire d'autres terriers.
C'est la ou l'on cherche sa pensee sur les questions graves et
perilleuses qu'on ne la trouve pas, le plus souvent. C'est dans un
article portant au titre le nom d'un inconnu, que Bayle, comme a
couvert, et protege par l'obscurite du sujet et l'inattention probable
du lecteur, ose davantage, et traite a fond un probleme capital, au coin
d'une note qui s'enfle et sournoisement devient une brochure. Aussi
faut-il le lire tout entier, comme un livre mal fait; car son livre est
mal fait, moitie incurie (au point de vue artistique), moitie dessein,
et prudence, et malice. Sainte-Beuve dit que c'est un livre a consulter
plutot qu'a lire. C'est le contraire. A le consulter on croit qu'il
n'y a presque rien; a le lire on fait a chaque pas des decouvertes la
precisement ou l'on se preparait a tourner deux feuillets a la fois.
C'est le livre qu'il faut le moins lire quatre a quatre.
Et a lire jusqu'au bout on decouvre une chose qui est bien a l'honneur
de Bayle: c'est que tous ces defauts que je viens d'indiquer diminuent
et s'effacent presque a mesure que Bayle avance. Les histoires grasses
ou saugrenues deviennent plus rares, les questions philosophiques et
morales attirent de plus en plus l'attention de l'auteur, la commere
cede toute la place au philosophe, l'ouvrage devient proprement un
dictionnaire des problemes philosophiques. On le voit finir avec regret.
Tout compte fait, c'est une substantielle et agreable lecture. C'est le
livre d'un honnete homme tres intelligent
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