nt, je suis bien malheureux, et je n'ai
pas un ami.
CHRISTINE
--Vous avez Francois. Et Francois vaut tous les amis du monde. Adieu,
Maurice, a bientot, j'espere.
Christine rentra dans le salon. Elle s'approcha de M. de Nance, qui
lisait dans un fauteuil, et, lui passant un bras autour du cou.
--Mon pere, dit-elle.
--Ah! ah! ceci annonce une confidence ou une confession, dit M. de Nance
en l'embrassant et en posant son livre. Voyons, de quoi s'agit-il, mon
enfant?
--Mon pere, repeta-t-elle tout bas, Maurice me repugne: je le deteste;
je sais que c'est mal. Je voudrais ne pas le toucher et il veut que je
lui donne le bras. Et j'ai ete bien fausse, car je lui ai offert mon
bras pour l'aider a s'en aller et je lui ai dit: "A bientot, j'espere",
quand je voudrais ne le revoir jamais.
M. DE NANCE
--Tu n'as pas ete fausse, ma fille; tu as ete bonne; tu as senti que
ton aversion etait injuste et tu as voulu la vaincre. Mais pourquoi le
detestes-tu?
CHRISTINE, s'animant.
--C'est depuis qu'il m'a demande de l'aimer comme j'aime Francois. En
moi-meme, je le trouvais sot et ridicule. Lui! Maurice! que je connais a
peine, l'aimer comme j'aime Francois, comme je vous aime, vous qui etes
si bon pour moi depuis quatre ans! Francois qui est mon frere, vous qui
etes mon pere! Que j'aime un etranger comme vous! C'est bete et sot! Et
pour cela, je ne peux plus le souffrir.
--Ma chere enfant, repondit M. de Nance en l'embrassant a plusieurs
reprises, tu as raison de nous aimer plus que les autres, car nous
t'aimons de tout notre coeur; mais il ne faut pas que tu te moques de
ceux qui te demandent de les aimer, et surtout d'un malheureux infirme,
sans aucune affection au monde, car on m'a dit que depuis qu'il etait
difforme, son frere meme rougissait de lui. Tu vois, ma chere petite,
que c'est une vraie charite d'etre bonne pour lui.
CHRISTINE
--Bonne, je veux bien, mon pere, mais je ne peux pas et je ne veux pas
l'aimer comme j'aime Francois et vous.
M. DE NANCE
--Tu n'y es pas obligee, mon enfant, mais tu ne dois pas le detester. Je
serai bien triste de te voir detester quelqu'un.
CHRISTINE
--Vous! triste? Par ma faute? Oh! mon pere! jamais je ne detesterai
personne, pas meme Maurice.
M. DE NANCE
--C'est bien, mon enfant; je te remercie de ta promesse et de ta
confiance.
CHRISTINE
--Je serais bien fachee de vous cacher quelque chose, mon cher pere,
surtout quand c'est du mal.
Francois
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