Et alors, tu es fache contre lui, et tu as eu envie de lui dire que je
n'etais pas son amie et que tu etais et serais mon seul ami, et que je
ne l'aimerais jamais comme je t'aime? Et puis, tu ne l'aimes pas; tout
comme moi, dit Christine en riant et en l'embrassant.
FRANCOIS. Surpris.
--Tiens! comment as-tu devine?
CHRISTINE
--C'est que cela m'a fait la meme chose quand il m'a demande de l'aimer
comme je t'aime: je le trouvais bete, je me sentais fachee contre lui,
et depuis ce temps je ne peux pas l'aimer pour de bon; mais papa dit que
ca ne fait rien, qu'on peut tout de meme etre bon et aimable pour lui,
sans l'aimer.
FRANCOIS
--Je crains que ce ne soit mal de ma part, papa; c'est vrai que je ne
l'aime pas. Et pourtant il me fait pitie, je le plains; mais je n'aime
pas a le voir.
M. DE NANCE
--Et pourtant tu y vas de plus en plus, mon ami.
FRANCOIS
--Parce que je l'aime de moins en moins; et c'est pour me punir de ce
mauvais sentiment, que je fais plus pour lui que si je l'aimais.
M. DE NANCE
-Tu ne peux faire ni plus ni mieux, mon ami, car tu agis par charite;
tu fais donc plus et mieux que si tu agissais par amitie... Sois bien
tranquille, et, quand il sera ici, continue a lui laisser croire que tu
es son ami. Le bon Dieu te recompensera de ce grand acte de charite.
CHRISTINE
--Mon pere, vous avez raison de dire grand acte de charite, parce que
c'est bien difficile d'etre avec les gens qu'on n'aime pas, comme si on
les aimait.
L'arrivee de Paolo interrompit leur conversation, que Francois reprit
avec son pere avant de se coucher. Ils dirent beaucoup de choses que
nous n'avons pas besoin de savoir, et dont le resultat fut pour Francois
une tranquillite de coeur complete, un redoublement de tendresse pour
Christine et de compassion pour Maurice, qu'il resolut de traiter plus
amicalement encore que par le passe.
XXIII
FIN DE MAURICE
Le lendemain, Maurice arriva pale et defait, les yeux rouges et gonfles,
la poitrine oppressee. Le depart de ses parents lui avait cause une
douleur profonde, malgre la promesse de sa mere de revenir des qu'il y
aurait une amelioration dans la sante de son grand-pere. Quand il vit
Francois et Christine qui accouraient au-devant de lui, il sourit, un
eclair de joie illumina son visage; il hata le pas pour les joindre plus
vite; dans son empressement, une de ses jambes accrocha l'autre, et il
tomba tout de son long par terre; aussitot un flot de s
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