lettre de ta mere.
CHRISTINE
--Merci, ma tante, je l'enverrai a Francois.
Christine se retira chez elle et ouvrit avec repugnance la lettre de sa
mere, dont elle n'avait jamais recu que des paroles desagreables.
"Ma chere soeur, disait-elle, Christine n'a pas le sens commun de vouloir
epouser un bossu, elle ferait cent fois mieux de se faire religieuse. Ni
mon mari ni moi, nous ne lui refusons pourtant pas notre consentement;
avec un mari bossu, il est clair qu'elle devra vivre a Nance sans en
sortir, ce qui convient parfaitement a son peu de beaute, a son petit
esprit et a ses gouts bizarres. Un autre motif nous fait donner notre
consentement. J'ai eu le malheur d'etre trompee par un homme d'affaires
malhonnete, et nous nous trouvons ruines, ou a peu pres; notre fortune
actuelle payera nos dettes; il nous restera la terre des Ormes, que nous
vendrons a un marchand de bois, moyennant une rente de cinquante mille
francs; mais Christine n'aura rien, ni dot, ni fortune a venir. Nous
sommes donc assez contents que M. de Nance veuille bien prendre
Christine a sa charge et qu'il l'empeche de revenir, en la mariant a
son pauvre petit bossu. Je vous enverrai demain notre consentement par
devant notaire, afin de ne plus entendre parler de cette affaire. Des
que la vente des Ormes, qui est en train, sera terminee, nous partirons
pour la Suisse et puis pour Florence, ou j'ai l'intention de me fixer.
Dites bien a M. de Nance que Christine n'a et n'aura pas le sou. Adieu,
ma soeur; mille compliments a votre mari... Je n'ai pas meme de quoi
faire un trousseau a Christine. Dites-le."
"CAROLINE DES ORMES."
Christine laissa tomber tristement la lettre de sa mere.
"Quelle indifference! se dit-elle. Pas un mot; pas une pensee de
tendresse pour moi, leur fille, leur seule enfant! Et ce bon, ce cher
M. de Nance! quels soins, quelle bonte, quelle tendresse, quelle
preoccupation constante de mon bien-etre, de mon bonheur! Oh! que je
l'aime, ce pere bien-aime que le bon Dieu m'a envoye dans mon triste
abandon! Et Francois! ce frere cheri qui depuis des annees ne vit que
pour moi, comme je ne vis que pour lui et pour notre pere! Quelle joie
remplit mon coeur depuis que je suis certaine d'etre a eux pour toujours!
Quand donc m'annonceront-ils leur retour? Je devrais recevoir la lettre:
aujourd'hui!"
Apres avoir ecrit a Francois, Christine se mit a ecrire a M, de Nance en
lui envoyant la lettre de sa mere.
"Je ne sais pourquoi
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