ientele, je sais que votre generosite ne vous
permet pas d'etre riche, et que quelques billets de banque de plus seront
beaucoup mieux entre vos mains qu'entre les miennes. Vous les emploierez a
faire des heureux, et, moi, je les jetterai sur un brelan, comme vous
dites.
D'ailleurs, jamais je n'ai ete moins en train de faire de la peinture. Il
faut pour cela deux choses que vous avez, la reflexion et l'inspiration;
je n'aurai jamais la premiere, et _j'ai eu_ la seconde. Aussi en suis-je
degoute comme d'une vieille folle qui m'a ereinte en me promenant a
travers champs sur la croupe maigre de son cheval d'Apocalypse. Je vois
bien ce qui me manque; n'en deplaise a votre raison, je n'ai pas encore
assez vecu, et je pars pour trois ou sept jours avec madame Realite, sous
la figure de plusieurs nymphes du corps de ballet de l'Opera. J'espere
bien, a mon retour, etre l'homme du monde le plus accompli, c'est-a-dire
le plus blase et le plus raisonnable.
Votre ami,
LAURENT.
* * * * *
I
Therese comprit fort bien, a premiere vue, le depit et la jalousie qui
avaient dicte cette lettre.
--Et pourtant, se dit-elle, il n'est pas amoureux de moi. Oh! non, certes,
il ne sera jamais amoureux de personne, et de moi moins que de toute
autre.
Et, tout en relisant et revant, Therese craignit de se mentir a elle-meme
en cherchant a se persuader que Laurent ne courait aucun danger aupres
d'elle.
--Mais quoi? quel danger? se disait-elle encore: souffrir d'un caprice non
satisfait? souffre-t-on beaucoup pour un caprice? Je n'en sais rien, moi.
Je n'en ai jamais eu!
Mais la pendule marquait cinq heures de l'apres-midi. Et Therese, apres
avoir mis la lettre dans sa poche, demanda son chapeau, donna conge a son
domestique pour vingt-quatre heures, fit a sa fidele vieille Catherine
diverses recommandations particulieres et monta en fiacre. Deux heures
apres, elle rentrait avec une petite femme mince, un peu voutee et
parfaitement voilee, dont le cocher meme ne vit pas la figure. Elle
s'enferma avec cette personne mysterieuse, et Catherine leur servit un
petit diner tout a fait succulent. Therese soignait et servait sa compagne,
qui la regardait avec tant d'extase et d'ivresse, qu'elle ne pouvait pas
manger.
De son cote, Laurent se disposait a la partie de plaisir annoncee; mais,
quand le prince D... vint le prendre avec sa voiture, Laurent lui dit
qu'une affaire imprevue le retenait e
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