encore ce matin du desordre
dans ma tete, et pourtant je sens que je mens, et je ne veux pas mentir
avec vous. J'ai eu vendredi soir mon premier acces de curiosite a votre
egard, celui d'hier etait deja le second; mais ce sera le dernier, je vous
jure, et, pour qu'il n'en soit plus jamais question, je veux me confesser
de tout. J'ai donc ete l'autre jour a votre porte, c'est-a-dire a la
grille de votre jardin. J'ai regarde, je n'ai rien vu; j'ai ecoute, j'ai
entendu! Eh bien, que vous importe? je ne sais pas son nom, je n'ai pas vu
sa figure; mais je sais que vous etes ma soeur, ma confidente, ma
consolation, mon soutien. Je sais qu'hier je pleurais a vos pieds, et que
vous avez essuye mes yeux avec votre mouchoir, en disant: "Que faire, que
faire, mon pauvre enfant?" Je sais que, sage, laborieuse, tranquille,
respectee, puisque vous etes libre, aimee, puisque vous etes heureuse,
vous trouvez le temps et la charite de me plaindre, de savoir que j'existe,
et de vouloir me faire mieux exister. Bonne Therese, qui ne vous benirait
serait un ingrat, et, tout miserable que je suis, je ne connais pas
l'ingratitude. Quand voulez-vous me recevoir, Therese? Il me semble que je
vous ai offensee. Il ne me manquerait plus que cela? Irai-je ce soir chez
vous? Si vous dites non, oh! ma foi, j'irai au diable!".
Laurent recut, par le retour de son domestique, la reponse de Therese.
Elle etait courte: _Venez ce soir_. Laurent n'etait ni roue ni fat, bien
qu'il meditat ou fut tente souvent d'etre l'un et l'autre. C'etait, on l'a
vu, un etre plein de contrastes, et que nous decrivons sans l'expliquer,
ce ne serait pas possible; certains caracteres echappent a l'analyse
logique.
La reponse de Therese le fit trembler comme un enfant. Jamais elle ne lui
avait ecrit sur ce ton. Etait-ce son conge motive qu'elle lui ordonnait de
venir chercher? etait-ce a un rendez-vous d'amour qu'elle l'appelait? Ces
trois mots secs ou brulants avaient-ils ete dictes par l'indignation ou
par le delire?
M. Palmer arriva, et Laurent dut, tout agite et tout preoccupe, commencer
son portrait. Il s'etait promis de l'interroger avec une habilete
consommee, et de lui arracher tous les secrets de Therese. Il ne trouva
pas un mot pour entrer en matiere, et, comme l'Americain posait en
conscience, immobile et muet comme une statue, la seance se passa presque
sans desserrer les levres de part ni d'autre.
Laurent put donc se calmer assez pour etudier la physionomi
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