que ceux
qui vivent dans le regle et dans le positif. On doit donc leur pardonner
des entrainements plus soudains et des impressions plus fievreuses.
L'opinion sent qu'elle le doit, car elle est generalement plus indulgente
pour ceux qui errent forcement dans la tempete que pour ceux que berce un
calme plat. Et puis le monde exige des artistes le feu de l'inspiration,
et il faut bien que ce feu qui deborde pour les plaisirs et les
enthousiasmes du public arrive a les consumer eux-memes. On les plaint
alors, et le bon bourgeois, qui, en apprenant leurs desastres et leurs
catastrophes, rentre le soir dans le sein de sa famille, dit a sa brave et
douce compagne:
--Tu sais, cette pauvre fille qui chantait si bien, elle est morte de
chagrin. Et ce fameux poete qui disait de si belles choses, il s'est
suicide. C'est grand dommage, ma femme... Tous ces gens-la finissent mal.
C'est nous, les simples, qui sommes les gens heureux...
Et le bon bourgeois a raison.
Therese avait pourtant vecu longtemps, sinon en bonne bourgeoise, car pour
cela il faut une famille, et Dieu la lui avait refusee, du moins en
laborieuse ouvriere, travaillant des le matin, et ne s'enivrant pas de
plaisir ou de langueur a la fin de sa journee. Elle avait de continuelles
aspirations a la vie domestique et reglee; elle aimait l'ordre, et, loin
d'afficher le mepris pueril que certains artistes prodiguaient a ce qu'ils
appelaient dans ce temps-la la gent epiciere, elle regrettait amerement de
n'avoir pas ete mariee dans ce milieu mediocre et sur, ou, au lieu de
talent et de renommee, elle eut trouve l'affection et la securite. Mais on
ne choisit pas son destin, puisque les fous et les ambitieux ne sont pas
les seuls imprudents que la destinee foudroie.
V
Therese n'eut pas de faiblesse pour Laurent dans le sens moqueur et
libertin que l'on attribue a ce mot en amour. Ce fut par un acte de sa
volonte, apres des nuits de meditation douloureuse, qu'elle lui dit:
--Je veux ce que tu veux, parce que nous en sommes venus a ce point ou la
faute a commettre est l'inevitable reparation d'une serie de fautes
commises. J'ai ete coupable envers toi, en n'ayant pas la prudence egoiste
de te fuir; il vaut mieux que je sois coupable envers moi-meme, en restant
ta compagne et ta consolation, au prix de mon repos et de ma fierte...
Ecoute, ajouta-t-elle en tenant sa main dans les siennes avec toute la
force dont elle etait capable, ne me retire jamais cette
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