anque de gout et de savoir-vivre a se
faire l'homme de la maison. Tout a coup, a la suite de ces pleurs et de
ces effusions mutuelles, Laurent, sans qu'il s'en rendit compte, se
trouvait investi d'un droit qui ne lui appartenait pas, mais dont il
s'emparait d'inspiration, sans que Therese, surprise et attendrie, put s'y
opposer. Il semblait qu'il fut chez lui, et qu'il eut conquis le privilege
de soigner la dame du logis, en bon frere ou en vieux ami. Et Therese,
sans songer au danger de cette prise de possession, le regardait faire
avec de grands yeux etonnes, se demandant si jusque-la elle ne s'etait pas
radicalement trompee en prenant cet enfant tendre et devoue pour un homme
hautain et sombre.
Cependant Therese reflechit durant la nuit; mais, le lendemain matin,
Laurent qui, sans rien premediter, ne voulait pas la laisser respirer, car
il ne respirait plus lui-meme, lui envoya des fleurs magnifiques, des
friandises exotiques et un billet si tendre, si doux et si respectueux,
qu'elle ne put se defendre d'en etre touchee. Il se disait le plus heureux
des hommes, il ne desirait rien de plus que son pardon, et, du moment
qu'il l'avait obtenu, il etait le roi du monde. Il acceptait toutes les
privations, toutes les rigueurs, pourvu qu'il ne fut pas prive de voir et
d'entendre son amie. Cela seul etait au-dessus de ses forces; tout le
reste n'etait rien. Il savait bien que Therese ne pouvait pas avoir
d'amour pour lui, ce qui ne l'empechait pas, dix lignes plus bas, de dire:
"Notre saint amour n'est-il pas indissoluble?"
Et ainsi disant le pour et le contre, le vrai et le faux cent fois le jour,
avec une candeur dont, a coup sur, il etait dupe lui-meme, entourant
Therese de soins exquis, travaillant de tout son coeur a lui donner
confiance dans la chastete de leurs relations, et a chaque instant lui
parlant avec exaltation de son culte pour elle, puis cherchant a la
distraire quand il la voyait inquiete, a l'egayer quand il la voyait
triste, a l'attendrir sur lui-meme quand il la voyait severe, il l'amena
insensiblement a n'avoir pas d'autre volonte et d'autre existence que les
siennes.
Rien n'est perilleux comme ces intimites ou l'on s'est promis de ne pas
s'attaquer mutuellement, quand l'un des deux n'inspire pas a l'autre une
secrete repulsion physique. Les artistes, en raison de leur vie
independante et de leurs occupations, qui les obligent souvent
d'abandonner le convenu social, sont plus exposes a ces dangers
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