que la faim le fit revenir. Deux jours ne se
passerent pas sans qu'il lui reprochat d'avoir accepte un travail
abrutissant, et sans qu'il lui proposat d'y renoncer. N'avait-il pas de
l'argent pour deux, et d'ou venait donc que sa maitresse refusait de le
partager avec lui?
Therese tint bon; elle savait que l'argent ne durerait pas dans les mains
de Laurent, et qu'il ne s'en trouverait peut-etre plus pour revenir le
jour ou il serait las de l'Italie. Elle le supplia de la laisser
travailler, et de travailler lui-meme comme il l'entendrait, mais comme
tout artiste peut et doit travailler quand il a son avenir a conquerir.
Il convint qu'elle avait raison et resolut de s'y mettre. Il deballa ses
boites, trouva un local et fit plusieurs esquisses; mais, soit le
changement d'air et d'habitudes, soit la vue trop recente de tant de
chefs-d'oeuvre differents qui l'avaient vivement emu et qu'il lui fallait
le temps de digerer en lui-meme, il se sentit frappe d'impuissance
momentanee, et tomba dans un de ces _spleens_ contre lesquels il ne savait
pas reagir seul. Il lui eut fallu des emotions venant du dehors, une
magnifique musique sortant du plafond, un cheval arabe entrant par le trou
de la serrure, un chef-d'oeuvre litteraire inconnu sous la main, ou encore
mieux, une bataille navale dans le port de Genes, un tremblement de terre,
n'importe quel evenement, delicieux ou terrible, qui l'arrachat a lui-meme,
et sous l'impulsion duquel il se sentit exalte et renouvele.
Tout a coup, au milieu de ses vagues et tumultueuses aspirations, une
mauvaise pensee vint le trouver malgre lui.
--Quand je songe, se dit-il, qu'_autrefois_ (c'est ainsi qu'il appelait le
temps ou il n'aimait pas Therese) la moindre folie suffisait pour me
ranimer! J'ai aujourd'hui beaucoup de choses que je revais, de l'argent,
c'est-a-dire six mois de loisir et de liberte, l'Italie sous les pieds, la
mer a ma porte, autour de moi une maitresse tendre comme une mere, en meme
temps qu'elle est un ami serieux et intelligent; et tout cela ne suffit
pas pour que mon ame revive! A qui la faute? Ce n'est pas la mienne, a
coup sur. Je n'avais pas ete gate, et il ne m'en fallait pas tant
autrefois pour m'etourdir. Quand je pense que la moindre piquette me
portait au cerveau tout aussi bien que le vin le plus genereux; que le
moindre minois chiffonne, avec un regard provoquant et une toilette
problematique, suffisait pour me mettre en gaiete et pour me persuader
qu'
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