ne font ni l'un ni l'autre s'ennuient dans le monde ou y sont
ennuyeux. Je ne suis pas un causeur de salon, moi. Je ne suis pas encore
assez creux pour me faire ecouter sans rien dire. Voyons, Therese, veux-tu
que je me jette dans le monde a nos risques et perils?
--Pas encore, dit Therese; patiente un peu. Helas! je n'etais pas preparee
a te perdre si tot!
L'accent douloureux et le regard dechirant de Therese irriterent Laurent
plus que de coutume.
--Tu sais, lui dit-il, que tu me ramenes toujours a tes fins avec la
moindre plainte, et tu abuses de ton pouvoir, ma pauvre Therese. Ne t'en
repentiras-tu pas un jour, si tu me vois malade et exaspere?
--Je m'en repens deja, puisque je t'ennuie, repondit-elle. Fais donc ce
que tu voudras!
--Ainsi tu m'abandonnes a ma destinee? Es-tu deja lasse de lutter? Tiens,
ma chere, c'est toi qui ne m'aimes plus!
--Au ton dont tu le dis, il semble que tu desires que cela soit!
Il repondit: "Non;" mais, un instant apres, c'etait _oui_ sous toutes les
formes. Therese etait trop serieuse, trop fiere, trop pudique. Elle ne
voulait pas descendre avec lui des hauteurs de l'empyree. Un mot leste lui
semblait un outrage, un souvenir sans importance encourait sa censure.
Elle etait sobre en tout et ne comprenait rien aux appetits capricieux,
aux fantaisies immoderees. Elle etait la meilleure des deux, a coup sur,
et, s'il lui fallait des compliments, il etait pret a lui en faire; mais
s'agissait-il de cela entre eux? La question n'etait-elle pas de trouver
le moyen de vivre ensemble? Autrefois, elle etait plus gaie, elle avait
ete _coquette_ avec lui, et elle ne voulait plus l'etre; elle etait
maintenant comme un oiseau malade sur son baton, les plumes ebouriffees,
la tete dans les epaules et l'oeil eteint. Sa figure pale et morne etait
quelquefois effrayante. Dans cette grande chambre sombre attristee des
restes d'un vieux luxe, elle lui faisait l'effet d'un spectre. Par moments,
il avait peur d'elle. Ne pouvait-elle remplir cet interieur lugubre de
chants bizarres et de joyeux eclats de rire?
--Voyons: que faire pour secouer cette mort qui glace les epaules?
Mets-toi au piano, et joue-moi une valse. Je vais valser tout seul.
Sais-tu valser, toi? Je parie que non! Tu ne sais rien que de triste!
--Tiens, dit Therese en se levant, partons demain, et advienne que pourra!
Tu deviendrais fou ici. Ce sera peut-etre pire ailleurs; mais j'irai
jusqu'au bout de ma tache.
Sur ce mo
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