sideration arriva bientot pour Therese un autre sacrifice a
faire: celui de la securite domestique. Jusque-la, elle avait gagne assez
d'argent par son travail pour mener une vie aisee; mais ce n'etait qu'a la
condition d'avoir des habitudes reglees, beaucoup d'ordre dans ses
depenses et de suite dans ses occupations. L'imprevu qui charmait Laurent
amena la gene. Elle le lui cacha, en ne voulant pas lui refuser le
sacrifice de ce precieux temps, qui est surtout le capital de
l'artiste.
Mais tout ceci n'etait que le cadre d'un tableau bien plus sombre sur
lequel Therese jetait un voile si epais, que personne ne se doutait de son
malheur, et que ses amis, scandalises ou peines de sa situation,
s'eloignaient d'elle en disant:
--Elle est enivree. Attendons qu'elle ouvre les yeux; cela viendra bien
vite!
Cela etait tout venu. Therese acquerait tous les jours la triste certitude
que Laurent ne l'aimait deja plus, ou qu'il l'aimait si mal, qu'il n'y
avait dans leur union pas plus d'espoir de bonheur pour lui que pour elle.
C'est en Italie que la certitude absolue en fut tout a fait acquise pour
tous deux, et c'est leur voyage en Italie que nous allons raconter.
VI
Il y avait longtemps que Laurent voulait voir l'Italie; c'etait son reve
depuis l'enfance, et quelques travaux qu'il put vendre d'une maniere
inesperee le mirent enfin a meme de le realiser. Il offrit a Therese de
l'emmener, en lui montrant avec orgueil sa petite fortune, et en lui
jurant que, si elle ne voulait pas le suivre, il renoncerait a ce voyage.
Therese savait bien qu'il n'y renoncerait pas sans regret et sans
reproche. Aussi s'ingenia-t-elle a trouver de l'argent de son cote. Elle
en vint a bout en engageant son travail futur; et ils partirent vers la
fin de l'automne.
Laurent s'etait fait de grandes illusions sur l'Italie, et croyait trouver
le printemps en decembre des qu'il apercevrait la Mediterranee. Il fallut
en rabattre, et souffrir d'un froid tres-apre durant la traversee de
Marseille a Genes. Genes lui plut extremement, et, comme il y avait
beaucoup de peinture a voir, que c'etait la, pour lui, le principal but du
voyage, il consentit de bonne grace a s'arreter la un ou deux mois, et
loua un appartement meuble.
Au bout de huit jours, Laurent avait tout vu, et Therese ne faisait que de
commencer a s'installer pour peindre, car il faut dire qu'elle ne pouvait
s'en dispenser. Pour avoir quelques billets de mille francs, elle avai
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