r sans souffrir. Alors je cherche dans le desordre, non
pas la mort de mon corps ou de mon esprit, mais l'usure et l'apaisement de
mes nerfs. Voila tout, Therese. Qu'y a-t-il donc la qui ne soit
raisonnable? Je ne travaille un peu proprement que quand je tombe de
fatigue.
--C'est vrai, dit Therese, je l'ai remarque, et je m'en etonne comme d'une
anomalie; mais je crains bien que cette maniere de produire ne vous tue,
et je ne peux pas me figurer qu'il en puisse arriver autrement. Attendez,
repondez a une question: Avez-vous commence la vie par le travail et
l'abstinence, et avez-vous senti alors la necessite de vous etourdir pour
vous reposer?
--Non, c'est le contraire. Je suis sorti du college, aimant la peinture,
mais ne croyant pas etre jamais force de peindre. Je me croyais riche. Mon
pere est mort ne laissant rien qu'une trentaine de mille francs, que je me
suis depeche de devorer, afin d'avoir au moins dans ma vie une annee de
bien-etre. Quand je me suis vu a sec, j'ai pris le pinceau; j'ai ete
ereinte et porte aux nues, ce qui de nos jours, constitue le plus grand
succes possible, et, a present, je me donne, pendant quelques mois ou
quelques semaines, du luxe et du plaisir tant que l'argent dure. Quand il
n'y a plus rien, c'est pour le mieux, puisque je suis egalement au bout de
mes forces et de mes desirs. Alors je reprends le travail avec rage,
douleur et transport, et, le travail accompli, le loisir et la prodigalite
recommencent.
--Il y a longtemps que vous menez cette vie-la?
--Il ne peut pas y avoir longtemps a mon age! Il y a trois ans.
--Eh! c'est beaucoup pour votre age, justement! Et puis vous avez mal
commence: vous avez mis le feu a vos esprits vitaux avant qu'ils eussent
pris leur essor; vous avez bu du vinaigre pour vous empecher de grandir.
Votre tete a grossi quand meme, et le genie s'y est developpe malgre tout;
mais peut-etre bien votre coeur s'est-il atrophie, peut-etre ne serez-vous
jamais ni un homme ni un artiste complet.
Ces paroles de Therese, dites avec une tristesse tranquille, irriterent
Laurent.
--Ainsi, reprit-il en se relevant, vous me meprisez?
--Non, repondit-elle en lui tendant la main, je vous plains!
Et Laurent vit deux grosses larmes couler lentement sur les joues de
Therese.
Ces larmes amenerent en lui une reaction violente: un deluge de pleurs
inonda son visage, et, se jetant aux genoux de Therese, non pas comme un
amant qui se declare, mais comme un enf
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