, vous le verriez bien; mais la porte est close, le mur est
d'airain, et ma volonte, ma foi, mon expansion, ma parole meme, ne peuvent
le traverser. Faudra-t-il donc que je vive et meure ainsi? A quoi me
servira, je vous le demande, d'avoir barbouille de peintures fantasques
les murs de mon cachot, si le mot _aimer_ ne se trouve ecrit nulle part?
--Si je vous comprends bien, dit Therese reveuse, vous pensez que votre
oeuvre a besoin d'etre echauffee par le sentiment.
--Ne le pensez-vous pas aussi? N'est-ce pas la ce que me disent tous vos
reproches?
--Pas precisement. Il n'y a que trop de feu dans votre execution, la
critique vous le reproche. Moi, j'ai toujours traite avec respect cette
exuberance de jeunesse qui fait les grands artistes, et dont les beautes
empechent quiconque a de l'enthousiasme d'eplucher les defauts. Loin de
trouver votre travail froid et emphatique, je le sens brulant et passionne;
mais je cherchais ou etait en vous le siege de cette passion: je le vois
maintenant, il est dans le desir de l'ame. Oui, certainement,
ajouta-t-elle toujours reveuse, comme si elle cherchait a percer les
voiles de sa propre pensee, le desir peut etre une passion.
--Eh bien, a quoi songez-vous? dit Laurent en suivant son regard absorbe.
--Je me demande si je dois faire la guerre a cette puissance qui est en
vous, et si, en vous persuadant d'etre heureux et calme, on ne vous
oterait pas le feu sacre. Pourtant... je m'imagine que l'aspiration ne
peut pas etre pour l'esprit une situation durable et que, quand elle s'est
vivement exprimee pendant sa periode de fievre, elle doit, ou tomber
d'elle-meme, ou nous briser. Qu'en dites-vous? Chaque age n'a-t-il pas sa
force et sa manifestation particulieres? Ce que l'on appelle les diverses
_manieres_ des maitres, n'est-ce pas l'expression des successives
transformations de leur etre? A trente ans, vous sera-t-il possible
d'avoir aspire a tout sans rien etreindre? Ne vous sera-t-il pas impose
d'avoir une certitude sur un point quelconque? Vous etes dans l'age de la
fantaisie; mais bientot viendra celui de la lumiere. Ne voulez-vous pas
faire de progres?
--Depend-il de moi d'en faire?
--Oui, si vous ne travaillez pas a deranger l'equilibre de vos facultes.
Vous ne me persuaderez pas que l'epuisement soit le remede de la fievre:
il n'en est que le resultat fatal.
--Alors quel febrifuge me proposez-vous?
--Je ne sais: le mariage, peut-etre.
--Horreur! s'ecria Laur
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