ne
paraissant devoir rien a personne, et ne s'occupant jamais de ce que l'on
pouvait dire d'elle, avait-elle besoin du pretexte d'un portrait pour
recevoir souvent et longtemps l'objet de son amour ou de sa fantaisie?
Des qu'il se sentit calme, Laurent ne se sentit plus retenu par la honte
de manifester sa curiosite.
--Vous etes donc Americaine? dit-il a Therese, qui de temps en temps
traduisait a M. Palmer, en anglais, les repliques qu'il n'entendait pas
bien.
--Moi? repondit Therese; ne vous ai-je pas dit que j'avais l'honneur
d'etre votre compatriote?
--C'est que vous parlez si bien l'anglais!
--Vous ne savez pas si je le parle bien, puisque vous ne l'entendez pas.
Mais je vois ce que c'est, car je vous sais curieux. Vous demandez si
c'est d'hier ou d'il y a longtemps que je connais Dick Palmer. Eh bien,
demandez-le a lui-meme.
Palmer n'attendit pas une question que Laurent ne se fut pas volontiers
decide a lui faire. Il repondit que ce n'etait pas la premiere fois qu'il
venait en France et qu'il avait connu Therese toute jeune, chez ses
parents. Il ne fut pas dit quels parents. Therese avait coutume de dire
qu'elle n'avait jamais connu ni son pere ni sa mere.
Le passe de mademoiselle Jacques etait un mystere impenetrable pour les
gens du monde qui allaient se faire peindre par elle et pour le petit
nombre d'artistes qu'elle recevait en particulier. Elle etait venue a
Paris on ne sait d'ou, on ne savait quand, on ne savait avec qui. Elle
etait connue depuis deux ou trois ans seulement, un portrait qu'elle avait
fait ayant ete remarque chez des gens de gout et signale tout a coup comme
une oeuvre de maitre. C'est ainsi que, d'une clientele et d'une existence
pauvres et obscures, elle avait passe brusquement a une reputation de
premier ordre et une existence aisee; mais elle n'avait rien change a ses
gouts tranquilles, a son amour de l'independance et a l'austerite enjouee
de ses manieres. Elle ne posait en rien et ne parlait jamais d'elle-meme
que pour dire ses opinions et ses sentiments avec beaucoup de franchise et
de courage. Quant aux faits de sa vie, elle avait une maniere d'eluder les
questions et de passer a cote qui la dispensait de repondre. Si on
trouvait moyen d'insister, elle avait coutume de dire apres quelques mots
vagues:
--Il ne s'agit pas de moi. Je n'ai rien d'interessant a raconter, et, si
j'ai eu des chagrins, je ne m'en souviens plus, n'ayant plus le temps d'y
penser. Je suis tr
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