--On ne peut plus mariee, par-devant M. le maire et M. le cure.
--Quelle betise! elle porterait son nom et son titre.
--Ah! voila! Il y a un mystere la-dessous. Quand j'aurai le temps, je
chercherai ca, et je vous en ferai part. On dit qu'elle n'a pas d'amant
connu, bien qu'elle vive avec une grande liberte. D'ailleurs, vous devez
savoir cela, vous?
--Je n'en sais pas le premier mot. Ah ca! vous croyez donc que je passe ma
vie a observer ou a interroger les femmes? Je ne suis pas un flaneur comme
vous, moi! je trouve la vie tres courte pour vivre et travailler.
--Vivre... je ne dis pas. Il parait que vous vivez beaucoup. Quant a
travailler... on dit que vous ne travaillez pas assez. Voyons, qu'est-ce
que vous avez la? Laissez-moi voir!
--Non, ce n'est rien, je n'ai rien de commence ici.
--Si fait: cette tete-la... c'est tres-beau, diable! Laissez-moi donc voir,
ou je vous malmene dans mon prochain _salon_.
--Vous en etes bien capable!
--Oui, quand vous le meriterez; mais, pour cette tete-la, c'est superbe et
s'admire tout betement. Qu'est-ce que ca sera?
--Est-ce que je sais?
--Voulez-vous que je vous le dise?
--Vous me ferez plaisir.
--Faites-en une sibylle. On coiffe ca comme on veut, ca n'engage a rien.
--Tiens, c'est une idee.
--Et puis on ne compromet pas la personne a qui ca ressemble.
--Ca ressemble a quelqu'un?
--Parbleu! mauvais plaisant, vous croyez que je ne la reconnais pas?
Allons, mon cher, vous avez voulu vous moquer de moi, puisque vous niez
tout, meme les choses les plus simples. Vous etes l'amant de cette
figure-la!
--La preuve, c'est que je m'en vais a Montmorency! dit froidement Laurent
en prenant son chapeau.
--Ca n'empeche pas! repondit Mercourt.
Laurent sortit, et Mercourt, qui etait descendu avec lui, le vit monter
dans une petite voiture de remise; mais Laurent se fit conduire au bois de
Boulogne, ou il dina tout seul dans un petit cafe, et d'ou il revint a la
nuit tombee, a pied et perdu dans ses reveries.
Le bois de Boulogne n'etait pas a cette epoque ce qu'il est aujourd'hui.
C'etait plus petit d'aspect, plus neglige, plus pauvre, plus mysterieux et
plus champetre: on y pouvait rever.
Les Champs-Elysees, moins luxueux et moins habites qu'aujourd'hui, avaient
de nouveaux quartiers ou se louaient encore a bon marche de petites
maisons avec de petits jardins d'un caractere tres-intime. On y pouvait
vivre et travailler.
C'etait dans une de ces ma
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