inq annees au milieu
des Abenakis, cultivant et developpant, autant qu'il m'etait possible,
l'esprit et les sentiments de delicatesse de l'enfant, ne perdant durant
ce temps aucune occasion de m'informer de Paulo et de tacher de lui
faire connaitre l'endroit ou je l'attendais, car il etait indispensable
a mes projets. Enfin un matin, il arriva tout degrade, plus hideux et
plus cynique encore qu'il ne l'etait les dernieres fois que je l'avais
vu. Le fer rouge du bourreau lui avait imprime sur le front le stigmate
d'infamie. A cette vue, le coeur me bondit de joie, aussi j'en fis mon
hote et mon commensal; il devint mon compagnon inseparable.
Angeline pouvait alors avoir de quatorze a quinze ans, elle s'etait
admirablement developpee. Sa figure etait belle, son front respirait
la douceur et la candeur. Elle m'etait soumise et devouee a l'extreme,
s'evertuant a prevenir le moindre de mes desirs; et je savais qu'elle se
mettrait a la torture pour me faire plaisir.
Pour completer ma vengeance, j'avais decide de jeter cet ange de
vertu et de bonte entre les bras du miserable Paulo. Il est facile de
comprendre l'aversion et l'horreur que ce scelerat lui inspirait. Bien
que je lui recommandasse de cacher ses debauches crapuleuses aux yeux de
la jeune fille, sa sceleratesse naturelle l'en empechait. J'aurais mis
mon projet, a execution depuis longtemps si le regard de Marguerite ne
m'eut encore poursuivi et n'etait venu de temps en temps me faire fremir
de terreur, lorsque surtout sa vox sepulcrale soufflait a mon oreille
"frappe si tu l'oses."
Cependant, un jour que j'avais pris de l'eau-de-vie plus qu'a
l'ordinaire, je me resolus a frapper le dernier coup. Je n'avais encore
fait que des allusions detournees a Angeline quant a mon projet, et
chaque fois, j'avais vu la jeune fille frissonner de degout au seul
nom du monstre. Ce fut donc ce jour-la, apres avoir pris un bon repas,
qu'elle m'avait apprete avec grand soin et pendant que Paulo d'apres
mes ordres, s'etait absente, que je lui signifiai formellement ce que
j'exigeais d'elle. La pauvre enfant me regarda d'abord d'un oeil doux et
etonne comme pour s'assurer si j'etais serieux, n'en pouvant croire ses
oreilles, mais bientot ma voix devint plus seche et plus imperative, je
pris le ton de la colere et l'informai que dans trois semaines, elle
serait l'epouse de Paulo. A ces mots, elle tomba a mes pieds en les
arrosant de ses larmes. Les mains jointes, elle tourna ses bea
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