ce n'etait pas un petit poids je
vous prie de le croire, que celui de la fermiere et lorsque je fus
debarrasse de sa masse, grace aux valets qui nous relevaient en
etouffant de rire, j'enfourchai ma monture que mon laquais tenait a
grand'peine.
Je piquai des deux eperons les flancs de la rosse, elle partit a la
course mais ce fut pour gagner l'etable ou il lui restait, sans doute un
peu de picotin. En y entrant, malgre tous mes efforts pour l'arreter,
naturellement je fus desarconne. J'etais tombe a la porte de l'ecurie
et lorsqu'on me ramena ma bete et les valets n'avaient pas encore fini
d'enlever avec du foin et des balais les ordures qui couvraient, la
partie de mes habits sur laquelle j'etais tombe.
Je remontai de nouveau et ce ne fut qu'a force d'etre pousse, battu par
les valets et enfin grace a une corde que mon laquais lui passa au cou
pour la faire remorquer par son ane, que l'infame Rossinante se decida a
se mettre en marche. Je m'eloignai de ces endroits accompagne d'eclats
de rire que je n'oublierai jamais de ma vie.
Mon indigne jocrisse avait entre ses dents au moins la moitie du foin
qui lui avait servi de selle pour s'empecher de faire chorus avec la
valetaille du chateau, tandis que son ane poussait des braiments comme
contre-basse.
En entendant raconter cette belle equipee, mon pere en fit une maladie
qui le conduisit en peu de temps au tombeau. Apres sa mort, tous nos
biens furent vendus, et je m'eveillai un bon matin n'ayant pour tout
partage que le chemin du roi.
J'ai oublie de vous dire que ma mere etait morte depuis un grand nombre
d'annees.
J'etais fils unique, n'ayant pour tout bien que cette arme, (et il
leur montra sa carabine) que mon pere m'avait donnee dans des jours
meilleurs.
Voila pourquoi je me suis embarque sur un batiment qui faisait voile
pour le Canada et me suis fait trappeur.
Je l'avoue franchement, cette mirobolante histoire reussit a m'arracher
un rire que je n'avais pas connu depuis bien des annees.
Pour les deux autres qui l'avaient ecoute avec un grand serieux jusqu'a
ce moment, je crus qu'ils n'en finiraient plus, tant leur hilarite etait
grande.
Lorsqu'ils se furent calmes, Baptiste s'ecria:
--Sacrement de penitence, c'etait son juron favori, je veux que la
corde qui servira tot ou tard a pendre les trois coquins que nous avons
rencontres aujourd'hui m'etrangle si je crois un seul mot de ce que vous
venez de dire. Il vaudrait mieux tout bonnement
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