s, me dit la religieuse, la pauvre vieille a perdu toute
intelligence. Je lui demandai de vouloir bien s'eloigner un instant, la
bonne soeur acceda volontiers a mon desir.
Je m'approchai du lit de l'octogenaire. _Rosalie_ lui dis-je. Elle fit
un soubresaut, me regarda d'un oeil etonne et quelque peu lumineux, puis
son regard redevint terne. Je prononcai mon nom a son oreille; elle
parut se reveiller et me regarda fixement, puis elle retomba dans son
etat d'hebetement.
La religieuse vint nous rejoindre. Elle nous avait observes
attentivement. "Vraiment chef, dit-elle en souriant; je vous crois un
peu sorcier; car depuis deux ans, la pauvre vieille n'a pas donne de
pareils signes de connaissance."
Mes pressentiments ne m'avaient pas trompes, cette vieille fille etait
l'ancienne servante qui demeurait chez mon pere lorsque je desertai la
maison paternelle.
Nous continuames la visite des salles ou j'admirai, comme je l'ai dis
plus haut, l'ordre parfait qui y regnait. Je fus ensuite conduit au
parloir ou m'attendaient la superieure et la depositaire qu'on avait
fait prevenir. Je leur exposai le plan que j'avais forme de mettre Adala
entre leurs mains pour qu'elle completat son education. Je leur dis de
plus a quels dangers elle etait exposee. Pour attirer davantage leur
sympathie en faveur de l'enfant et afin qu'elles ne la missent pas en
evidence, je leur fis connaitre son persecuteur. C'etait l'accusateur
de son pere et l'assassin de l'homme pour lequel celui-ci avait subi le
dernier supplice.
Jusque la, les deux religieuses n'avaient pas dit un seul mot. En levant
les yeux sur elles, je m'apercus que toutes deux pleuraient.
Elles m'adresserent tour a tour la parole. Au lieu de leur repondre, je
me mis a les regarder fixement. Je me retrouvais sous la meme impression
ou j'avais ete au sujet de la vieille en visitant les salles.
Etais-je donc cette journee-la sous l'effet d'une hallucination? Je ne
pouvais m'expliquer ce que je ressentais, mais plus j'analysais chacun
des traits des deux religieuses et plus je me convainquais que je les
avais vues quelque part.
Ma conduite les surprit sans doute, car la superieure, apres un silence
de quelques minutes, me dit en souriant: "Vous vous croyez, sans doute,
chef au milieu des grands bois, a l'affut de quelque gibier. En effet
depuis un quart d'heure que nous vous interrogeons, au lieu de nous
repondre, vous nous examinez comme si vous etiez indecis sur laquelle
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