s peu dire pour l'obstination
et l'opiniatrete. Le contre-maitre leur avait offert des gages tres
eleves, mais ils refusaient parce que leurs fiancees avaient exige
qu'ils s'etablissent sur des terres et qu'ils abandonnassent la vie de
marins.
Apres avoir vide mon verre, j'entonnai, d'une voix enrouee et bachique,
une chanson francaise de matelot en goguettes. Les premieres stances
finies, j'observai du coin de l'oeil le contre-maitre qui parlait a un
des matelots qui paraissait etre son homme de de confiance, puis il
s'approcha de moi d'un air aimable.
--He! He! dit-il, l'ami, en me tapant sur l'epaule familierement, il me
vient a l'idee que tu as deja bouline dans des parages de la France!
--Oui, lui repondis-je en clignotant des veux, mon moricaud et moi nous
en avons vu bien d'autres que des requins d'eau douce.
--Tu n'etais donc pas un vrai marin puisque te voila aujourd'hui un
veritable terrien. Je fis un geste d'indignation.
--Par la sainte Barbe, dis-je en frappant du poing sur le comptoir, on
n'insulte pas ainsi un des premiers gabiers des Freres de la Cote!
--J'en ai ete un, repliqua le contre-maitre ravi, nous sommes freres,
buvons ensemble! Il pourrait se faire que nous naviguerions encore dans
les memes eaux.
--C'est pas de refus, repondis-je d'une voix de plus en plus enrouee,
mais d'abord vos civilites; pour le moricaud, ajoutais-je en me tournant
vers le negre, il en a deja jusqu'aux ecoutilles, il ne peut plus
parler.
Bref, vous le dirai-je, le negre et moi une heure apres, nous etions en
pleine mer a bord d'un bon gros batiment marchand et cinglions a toutes
voiles vers la France.
Nons etions en mer depuis deux jours lorsque le capitaine me fit inviter
a passer dans sa cabine. Cet homme, bien que vieux marin, avait conserve
le coeur, l'esprit et la gentillesse de l'homme bien eleve et poli, du
veritable capitaine francais. Aime et respecte des passagers de son
bord, il l'etait encore plus, s'il etait possible, de ses matelots.
Je n'hesitai donc pas a lui raconter l'histoire d'une partie de ma vie
de guerrier ou comme chef sauvage, j'avais combattu a cote des
siens dans les colonies ou a bord de _La Brise_. Je lui montrai les
temoignages de ma valeur que je possedais quand a l'assaut ou a
l'abordage, en qualite de chef, je conduisais mes guerriers. Il avait
une idee vague du desastre de _La Brise_ et m'en fit redire les details.
Nos cinq annees d'esclavage, de miseres et de torture
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