ait acquis de
grandes proprietes mais non content, de la jouissance de nos biens,
il lui prit la sotte fantaisie d'ajouter un titre do noblesse au nom
respectable de Cornichon qu'il portait. Pendant quelques annees, il
fit de folles depenses qui nous amenerent dans un etat, de gene
considerable. Pour completer toutes ses sottises, il acheta un chateau
en ruines qu'on appelait la Cocombiere, il acheva d'eparpiller le peu
qui nous restait pour te rendre presqu'habitable. Je ne sais quel
mauvais drole lui avait fait croire que par cette acquisition il
devenait baron; aussi ne l'appelait-on plus si on ne voulait pas
l'offenser, que le Baron de la Cocombiere.
Je passe brievement sur les details des toilettes extravagantes qu'il
faisait chaque jour et qui le rendaient, l'objet des risees et des huees
des campagnards du voisinage. Quand je passais avec lui, accoutre d'une
maniere aussi ridicule qu'il l'etait lui-meme, nous entendions les
gamins s'ecrier: Voila Monsieur Concombre et son Cornichon qui passent.
Nous recevions ces insultes avec un dedain superbe et sans sourciller.
Pour ma part j'aurais tordu le cou a un de ces droles, si mon pere, se
renfrognant dans sa dignite, ne m'en eut empeche en m'expliquant qu'il
serait malseant pour moi et indigne du sang qui coulait dans nos veines
de toucher a l'un de ces _vilains_.
C'est avec ce genre d'education que j'atteignis mes vingt ans. Nos
ressources pecuniaires etaient completement epuisees et je songeais a
chercher une position lucrative, lorsqu'un bon matin mon pere arriva
dans ma chambre d'un air tout radieux: Mon fils, me dit-il, il va
falloir endosser tes plus beaux habits et aller demander en mariage la
fille du Marquis de Montreuil dont la domaine avoisine le notre. Je
vais moi-meme presider a ta toilette et voir a ce que le laquais qui
t'accompagnera soit en grande tenue.
Les ordres de mon pere etaient pour moi sans appel. Une heure donc
apres, coiffe d'un chapeau a plumes, habit galonne en rouge bleu et vert
sur toutes les coutures, bottes a l'ecuyere toutes rapiecees, j'etais
installe sur une rosse, pendant que le laquais espece de jocrisse, qui
devait me suivre a distance et enharnache d'une maniere aussi ridicule,
avait en fourche un ane dont la maigreur l'avait oblige a mettre une
demi-botte de foin pour se proteger des foulures. Ce foin d'ailleurs
devait lui servir de selle.
Ce fut dans cet etat que je me presentai au chateau du Marquis, vieux
noble d'an
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