ent, dit la voix rieuse, qu'un des tiens detache sa langue
du crochet de la verite, on peut etre sur qu'a force de repeter des
balourdises, il finit par les croire. Puisque ton pere etait un
industriel que ne t'a-t-il interesse dans son commerce?
--Faites excuse, mon pere confectionnait des sabots et le commerce
n'etait pas assez etendu pour qu'il eut besoin d'un associe!
--Ton frere qui etait seigneur aurait pu t'etablir sur une de ses
terres?
--Quand je vous dis que mon frere etait _saigneur_, c'est qu'il saignait
les moutons du voisinage pour avoir une partie du sang. Il n'a jamais
possede de terre plus que j'en ai sous la main!
--Et ton frere le marchand ne pouvait-il pas te donner une place dans
son etablissement et ton industrie dans le commerce des perles ne
t'assurait-elle pas un belle existence?
--Oh! pour ca quant a mon frere le marchand, il etait en societe avec la
grosse voisine pour vendre de la tire et de la petite biere le dimanche,
a la porte de l'eglise; pour moi j'enfilais des grains du verre que je
vendais pour des colliers de perles. Nos trois industries reunies ne
rapportaient pas cinq francs chaque semaine pour faire bouillir la
marmite. Voila ce qui fait que le bonhomme, que nous appelions papa, a
leve le pied un bon matin pour aller rejoindre, disait-il, la mere que
nous n'avons jamais connue. Et il termina d'un ton piteux: Il fallait
bien que je changeasse de pays.
Le rire qui suivit cette declaration ebouriffante fut
presqu'inextinguible de la part de deux auditeurs, mais, sans se
deconcerter davantage, l'interlocuteur continua:
--Trou de l'air, c'est tout d'meme un fort beau pays que celui que
j'ai laisse la _ousque_ l'eau que vous buvez ici est du vin dans nos
rivieres, meme que chaque matin le soleil trouve cinq ou six gaillards
qui ronflent a reveiller les morts rien que pour s'etre assis sur ses
bords.
Ces dernieres reflexions augmenterent encore l'hilarite des deux autres.
Et toi, reprit celui qui s'appelait Baptiste en s'adressant a l'homme a
l'air melancolique, depuis six mois que nous chassons ensemble et que
tu me promets de me faire connaitre ton histoire pourquoi ne nous la
dirais-tu pas aujourd'hui?
Helas! repondit celui-ci, elle est fort triste mon histoire et ne sera
pas bien longue: Vous m'appelez Normand et c'est bien le cas de me
donner ce nom puisque la terre ou j'ai vu le jour se trouve dans la
Normandie. Mon pere etait autrefois un riche fermier. Il av
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