entrions dans la baie de
Charlestown, Caroline du Sud. La devaient commencer pour nous de
nouvelles angoisses. A qui s'adresser pour prendre ce batiment francais
qui etait eu partance? Nous resolumes une derniere fois de risquer le
tout pour le tout, et convinmes de nous donner la mort reciproquement
si nous avions a tomber entre les mains de ces infames bourreaux qui
s'appelaient des planteurs, possesseurs d'esclaves.
Nous debarquames silencieusement dans un endroit ecarte et primes une
rue obscure. Nous errames longtemps dans cette rue bordee de tabagies de
toute espece, lorsqu'enfin, quelques accents francais meles de jurons
energiques vinrent frapper mon oreille.
Immediatement, je donnai mes instructions au negre, lui enjoignant de
ne pas dire un seul mot, et de paraitre dans un etat complet d'ebriete.
Nous entrames dans cette tabagie, nous heurtant l'un sur l'autre et
d'une voix enrouee: "Moricaud disais-je, nous prenons une bordee; gare a
nous! l'ancre n'est pas fixee dans les ports des Freres de la Cote."
Ici est le temps de le dire, les habillements que notre bienfaitrice
nous avait fournis pour notre deguisement consistaient en chemise de
toile, chapeau goudronne, vareuse de matelot.
Oh! noble fille! sois a jamais benie dans les tiens et tout ce que tu as
de plus cher pour cette prevoyante attention......
La salle dans laquelle nous entrames avait une atmosphere chargee
de nuages epais de fumee de tabac. On y sentait une odeur de grog
insupportable.
Un contre-maitre, avec quatre matelots de son bord, allaient engager une
rixe contre deux autres compagnons d'une taille colossale qui refusaient
absolument de s'embarquer de nouveau avec eux. Certes, au moment ou
nous arrivames, la discussion etait vive, aussi les deux camps ne nous
virent-ils entrer qu'avec depit ou plutot avec defiance. Cependant d'un
air delibere, quoique titubant, nous nous dirigeames vers le comptoir ou
le negre et moi nous nous fimes servir d'un verre de liqueur. Je pris
quelques instants avant que de l'avaler completement, et saisis le sens
des paroles que l'un et l'autre camp echangeaient mutuellement. Ce fut
leur conversation acrimonieuse et menacante qui m'apprit que la guerre
etait finie depuis trois ans, entre la France et l'Angleterre, que les
deux matelots recalcitrants avaient decide de sa fixer dans le pays
pour y cultiver des terres, que leurs engagements etaient termines; ils
etaient deux bretons et certes ce n'est pa
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