travail si assommant, que j'attends toujours une heure
de calme pour causer avec toi. C'est un bonheur que je ne voudrais
pas empoisonner par mille sottes interruptions et mille tristes
preoccupations.
Mais qu'une lettre est peu de chose et dit mal ce qu'on se dirait dans
le bon laisser aller du coin du feu! Tu devrais bien, maintenant que je
suis enfin installee chez moi a Paris, venir y faire une promenade,
et passer quelques bonnes journees avec moi. Tu me trouverais dans un
mouvement perpetuel; mais tu serais avec moi dans le mouvement, et ton
amitie y porterait le calme et la joie dont j'ai si souvent besoin. Il
me semble que nous aurions tant a nous raconter!
L'existence change si souvent et si completement de face, dans le temps
ou nous sommes! Nous nous retrouverions changes tous deux a bien des
egards sans doute, mais fideles toujours au sentiment du devoir et a la
vieille et sainte amitie. Je suis un peu inquiete pourtant de ton long
silence. Serais-tu plus triste qu'autrefois? Si tu l'es, pourquoi ne me
le dis-tu pas? Je me flatte aussi parfois de l'idee que tu n'as plus
rien a me dire parce que tu es heureux.
Comment ne le serais-tu pas, avec une si admirable compagne, de
charmants enfants, tant d'amities et d'estimes solides?
Enfin, quoi que tu aies a me dire, ecris-moi. Tu me gatais autrefois,
tu me pardonnais de longs silences, et tu m'en reveillais toujours le
premier. Ma paresse a ecrire t'a-t-elle decourage? Non. Tu sais bien que
cet affreux metier, d'ecrivassier vous fait prendre en aversion la seule
vue de l'encre et du papier. Et puis, en s'ecrivant, on s'explique et on
se resume toujours mal. On ecrit sous l'impression du moment: triste a
la mort. Ce n'est pas toujours vrai; car, une heure plus tard, on eut
ete calme et resigne. Ou bien, on se dit plein d'espoir et de force, et
ce n'est pas plus vrai; parce que, une heure plus tot, on eut ete faible
et lache. Quand on se voit, c'est autre chose. On a le temps de se
montrer sous tous ses aspects, on se reconnait, et l'on recoit une
impression plus certaine, plus durable et plus efficace par consequent.
Vraiment, tu devrais bien venir ici. Nous nous en trouverions bien tous
deux, et mes enfants auraient tant de joie a te voir! Laisse-moi dans ce
bon reve et donne-moi l'espoir qu'il se realisera.
Bonsoir, bon vieux; aime-moi toujours comme je t'aime.
G. SAND.
CXCVII
A GUSTAVE PAPET, A ARS
Paris
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