l s'imagina ou que le directoire
voulait perdre l'armee d'Italie et son general, ou que les autres
generaux ne voulaient pas le seconder. Il ecrivit une lettre amere sur
la conduite des armees du Rhin. Il dit qu'une ligne d'eau n'etait jamais
un obstacle, et que sa conduite en etait la preuve; que lorsqu'on
voulait franchir un fleuve, on le pouvait toujours; qu'en ne voulant
jamais exposer sa gloire, on la perdait quelquefois; qu'il avait franchi
les Alpes sur trois pieds de neige et de glace, et que, s'il avait
calcule comme ses collegues, il ne l'aurait jamais ose; que si les
soldats du Rhin laissaient l'armee d'Italie seule exposee en Allemagne,
il fallait _qu'ils n'eussent pas de sang dans les veines_; que du reste
cette brave armee, si on l'abandonnait, se replierait, et que l'Europe
serait juge entre elle et les autres armees de la republique. Comme tous
les hommes passionnes et orgueilleux, Bonaparte aimait a se plaindre et
a exagerer le sujet de ses plaintes. Quoi qu'il dit, il ne songeait ni a
se retirer, ni meme a s'arreter, mais a frapper l'Autriche d'epouvante
par une marche rapide, et a lui imposer la paix. Beaucoup de
circonstances favorisaient ce projet. La terreur etait dans Vienne;
la cour etait portee a transiger; le prince Charles le conseillait
fortement; le ministere seul, devoue a l'Angleterre, resistait encore.
Les conditions fixees a Clarke, avant les victoires d'Arcole et de
Rivoli, etaient si moderees, qu'on pouvait facilement obtenir l'adhesion
de l'Autriche a ces conditions, et meme a beaucoup mieux. Reuni a
Joubert et a Massena, Bonaparte allait avoir quarante-cinq ou cinquante
mille hommes sous la main; et avec une masse aussi forte, il ne
craignait point une bataille generale, quelle que fut la puissance de
l'ennemi. Par toutes ces raisons, il resolut de faire une ouverture
au prince Charles, et s'il n'y repondait pas, de fondre sur lui avec
impetuosite, et de frapper un coup si prompt et si fort, qu'on ne
resistat plus a ses offres. Quelle gloire pour lui, si, seul, sans
appui, transporte en Autriche par une route si extraordinaire, il
imposait la paix a l'empereur!
Il etait a Klagenfurth, capitale de la Carinthie, le 11 germinal
(31 mars). Joubert a sa gauche achevait son mouvement et allait le
rejoindre. Bernadotte, qu'il avait detache pour traverser la chaussee de
la Carniole, s'etait empare de Trieste, des riches mines d'Idria, des
magasins autrichiens, et allait arriver par Laybach
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