matelots ou canonniers. Elle avait pour garnison trois mille cinq cents
Italiens, et onze mille Esclavons, des vivres pour huit mois, de l'eau
douce pour deux, et les moyens de renouveler ces provisions. Nous
n'etions pas maitres de la mer; nous n'avions point de barques
canonnieres, pour traverser les lagunes; il fallait s'avancer la sonde
a la main, le long de ces canaux inconnus pour nous, et sous le feu
d'innombrables batteries. Quelque braves et audacieux que fussent les
vainqueurs de l'Italie, ils pouvaient etre arretes par de pareils
obstacles, et condamnes a un siege de plusieurs mois. Et que d'evenemens
aurait pu amener un delai de plusieurs mois! L'Autriche repoussee
pouvait rejeter les preliminaires, rentrer dans la lice, ou faire naitre
de nouvelles chances.
Mais si la situation militaire de Venise presentait ces ressources, son
etat interieur ne permettait pas qu'on en fit un usage energique. Comme
tous les corps uses, cette aristocratie etait divisee; elle n'avait
ni les memes interets, ni les memes passions. La haute aristocratie,
maitresse des places, des honneurs, et disposant de grandes richesses,
avait moins d'ignorance, de prejuges et de passions, que la noblesse
inferieure; elle avait surtout l'ambition du pouvoir. La masse de la
noblesse, exclue des emplois, vivant de secours, ignorante et furieuse,
avait les veritables prejuges aristocratiques. Unie aux pretres, elle
excitait le peuple qui lui appartenait, comme il arrive dans tous
les etats ou la classe moyenne n'est pas encore assez puissante pour
l'attirer a elle. Ce peuple, compose de marins et d'artisans, dur,
superstitieux, et a demi sauvage, etait pret a se livrer a toutes les
fureurs. La classe moyenne, composee de bourgeois, de commercans, de
gens de loi, de medecins, etc., souhaitant comme partout l'etablissement
de l'egalite civile, se rejouissait de l'approche des Francais, mais
n'osait pas laisser eclater sa joie, en voyant un peuple qu'on pouvait
pousser aux plus grands exces, avant qu'une revolution fut operee.
Enfin, a tous ces elemens de division, se joignait une circonstance
non moins dangereuse. Le gouvernement venitien etait servi par des
Esclavons. Cette soldatesque barbare, etrangere au peuple venitien,
et souvent en hostilite avec lui, n'attendait qu'une occasion pour se
livrer au pillage, sans le projet de servir aucun parti.
Telle etait la situation interieure de Venise. Ce corps use etait pret
a se disloquer. Les gra
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