lus savoir porter le poids? Ce fut pour nous le temps des
fraises de l'amour dans le bois mysterieux des esperances. Votre beaute
m'apparaissait alors comme dans une de ces brumes printanieres qui
donnent aux splendeurs du renouveau un aspect flottant de reve, je ne
sais quoi d'enchante ou le desir s'ose, a peine, aventurer.
L'idee de toucher de ma bouche seulement le bout de vos doigts me
donnait le frisson, et l'odeur vivante de vos cheveux me grisait, rien
qu'a effleurer votre joue. Nous avons goute des joies tres douces et
tres incontestables a ces innocentes caresses: joies pour vous a me
faire souffrir, me voyant de plus en plus dompte, et joies pour moi-meme
a me perdre dans l'extase ou me plongeait votre seule vue. Cela ne
pouvait Dieu merci! durer toujours. Mais vous avez sagement attendu
que la felicite plus complete qui devait suivre l'immense felicite des
tendresses sans reserve fut comme le fruit mur qui se detache de la
branche au moindre souffle. Patience! Les cerises viendront aux
chairs fermes, aux duretes virginales; puis l'egrenement de rubis des
groseillers suivra; l'or rougira aux flancs veloutes des abricots; les
raisins revetiront leurs transparences nacrees; puis enfin la peche
apparaitra dans les corbeilles, la peche dont le duvet imperceptible
fait penser a celui dont vos belles epaules sont parees. Nous ne sommes
qu'au printemps, Madame! n'appelons pas encore l'automne et gardons la
douceur d'esperer jusqu'a ce que vienne celle de se souvenir!
[Illustration]
II
CONTES D'ETE
[Illustration]
FETE DES FLEURS
C'est un reve que j'ai fait tout simplement au fond de mon jardin;
car il y a longtemps deja que j'ai donne pour unique horizon a ma vie
mondaine le rideau de peupliers dont les plis de verdure frissonnent
au-dessus de mon mur interieurement etoile de pavots, vivant la les
fetes communes, tandis que leur rumeur m'arrive lointaine, lointaine
et multipliee par les echos innombrables de la riviere. J'ai pris les
foules en horreur pour la tyrannie bete qu'elles imposent a la marche,
pour la curiosite banale qui les pousse en tous sens comme un torrent
qui se dechire aux cailloux; mais j'en aime assez le bruit confus pourvu
qu'une solitude douce m'en separe, pareil a cela a l'egoiste qui,
voluptueusement, ecoute de son lit tomber l'averse dans la rue sur les
tetes indifferentes des passants.
Non, vraiment, l'idee de tous les fiacres de Paris echangeant, dans la
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