eil couchant et quelques-unes pareilles a des
ailes d'ibis. Un grand vaisseau qui avait ete visible tout le jour, se
perdait dans la buee profonde et lumineuse qui bientot allait confondre
la mer et le ciel comme deux levres dans un baiser.
Vous etiez assise a cote de moi, ma chere ame, et vous reviez comme moi,
devant ce magnifique paysage. Tout a coup, le soleil, qui avait disparu,
depuis un instant, derriere le rideau de nuees qui semblait un rempart
dresse sur l'horizon, le perca de sa clarte rouge et sans rayons. On eut
dit un trou de feu beant dans le ciel, une blessure large et ronde et
pleine d'un sang vermeil, le coeur du monde arrache et pendu en l'air,
comme a l'etal d'un boucher. C'etait terrible et superbe a la fois. Mes
yeux chercherent les votres et j'y trouvai l'apaisement d'un firmament
plein d'etoiles.
Cependant le nuage blesse reprenait le combat et l'ombre revoltee
s'acharnait a l'astre un instant triomphant. Le magnifique globe se
deforma soudain et ne fut bientot plus qu'une bande eclatante, une
dechirure dans le linceul de nuit qui l'enveloppait. Chose etrange et
qui vous frappa autant que moi! Cette dechirure avait la forme d'un
bateau, d'un bateau de flammes voguant sur les vapeurs comme sur une
autre mer. Ce navire flamboyant perdu dans l'immensite, m'apparut comme
le vaisseau qui emporte nos reves vers l'infini, nos tendresses vers le
neant et que colore la fleur vivante et pourpree de nos veines; comme
le navire a qui nous confions plus de la moitie de notre ame, nos
aspirations supremes et nos desirs desesperes. En vain il tentait de
monter plus haut dans le ciel sur le dos ecumeux des nuees, ou de
s'enfoncer plus avant dans l'horizon, pousse par le vent amer qui
soufflait de la rive. Il demeurait immobile, rive au flot qui semblait
le porter et qu'on eut dit fige autour de lui comme les flots d'une mer
de glace. Ainsi, pensai-je, le meilleur de nous reste suspendu entre la
terre et le ciel, attache au roc comme par une ancre invisible. Et peut-
etre, pensiez-vous comme moi, ma chere ame. Car une grande melancolie
etait dans vos yeux profonds et d'un vert changeant comme celui de la
mer.
Les choses du ciel ont-elles donc aussi leurs naufrages! Soudain le
vaisseau de feu que nous emplissions du fantome de nos pensees fut comme
traverse par une raie d'ombre qui le separa en deux. On eut dit une lame
qui le coupait dans toute sa longueur. Et ce ne fut plus qu'une double
epave, toujours lu
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