. C'est ce que je vous souhaite de
toute mon ame!
Je lisais, ou mieux je chantais en moi-meme,--car la musique du vers
eveille en moi un orchestre invisible, comme si les doigts magiciens de
sainte Cecile, si bien nommee par Mallarme: "Musicienne du silence",
y couraient sur un clavier mysterieux--les belles strophes, bien
empreintes de sucs latins, de ce noble recueil quand un parfum tres
subtil de lilas envahit mon cerveau, une odeur extremement delicate et
penetrante, comme le vol d'une ame de fleur. Et comme rien n'invite
mieux a la lente reverie que le bercement des rythmes et les cadences
ailees qui emportent la pensee vers les mondes inconnus, vous me
pardonnerez, Laurent, mais mon regard se souleva peu a peu de votre
livre, se perdit dans des horizons vaguement baignees de lumiere: votre
musique ne fut plus dans ma tete qu'une serie d'echos comme ceux que
repercutent les monts plongeant leurs grandes ombres dans un lac
nocturne. Cette senteur de lilas m'avait grise certainement.
* * * * *
Eh oui! cette bonne chaleur dont je me sentais penetre et que je
savourais comme font les moineaux le ventre dans le sable; cette
eblouissante clarte qui descendait des vitres et cet eclat limpide du
ciel que j'admirais au travers; ces harmonies qui vibraient en moi; ce
souffle embaume dont je me sentais poursuivi ... le printemps etait venu
tout a coup certainement, et c'etait la fete immortelle des choses dans
la beatitude inquiete des etres et l'epanouissement des renouveaux.
Qui donc avait dit que cet hiver obstine ne finirait jamais! Les voila
reduites a neant, les propheties des astrologues qui nous montraient
Avril posant sur la glace mordante ses pieds roses et frileux! Evohe!
le printemps s'est souvenu! C'est dans les allees des jardins que
resserrent leurs bordures touffues, parmi les mousses des grands bois
dont le velours se renouvelle, le long des ruisseaux delivres, une
floraison eperdue de violettes et de muguets tintinnabulants dans la
brise. Mais non! Les violettes et les muguets ne sont deja plus. Ce sont
les lilas superbes qui, comme des guerriers, secouent leurs panaches au
vent, sous la fanfare de cuivre des aurores. Les oiseaux amoureux ne se
poursuivent plus dans les branches, mais la chanson tremblante des
nids arrete ca et la le promeneur religieux. Le printemps ne s'est pas
seulement souvenu; il a franchi d'un bond les marches de l'apotheose et
couru vers sa splende
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