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29.--LA STATUETTE DE SAINT ANTOINE.
Eleve par une pieuse mere, D***, officier aussi loyal que brave,
avait eu la foi, mais la vie des camps et des casernes avait efface
l'empreinte primitive de la religion et il en etait arrive a cette
indifference froide et triste qui est une forme honnete de l'impiete.
Son epouse, restee maitresse pour elle-meme et pour sa fille de toutes
les pratiques de la devotion, n'en pleurait pas moins l'egarement de
celui qu'elle aimait assez sur la terre, pour ne pas vouloir en etre
separee au ciel. Depuis longtemps deja, ses prieres montaient toujours
vers le Ciel et imploraient l'appui de la Reine des vierges. Rien ne
venait la consoler. Un jour meme, une nouvelle peine vint s'ajouter
aux autres: son mari lui avait appris qu'il etait franc-macon! Ce
n'etait plus seulement l'indifference, c'etait l'impiete reelle et
notoire, l'impiete publique et affichee...; et, en pensant a cela,
Mme D*** serrait sa fille sur son coeur comme pour la preserver d'un
malheur, ou peut-etre pour avoir recours a l'innocence de l'enfant,
contre le peril que courait l'ame du pere.
Tout-a-coup, ses yeux se porterent sur une statuette de saint Antoine
de Padoue qui ornait sa chambre, et une idee subite s'empara de son
ame attristee... "Mon enfant, dit-elle a sa fille, mon enfant, il faut
que tu pries beaucoup saint Antoine pour obtenir de lui que ton pere
retrouve ce qu'il a perdu!
--Qu'a-t-il donc perdu, ma mere?
--Tu le sauras plus tard, mais prie et... n'en dis rien a ton pere."
Le regard naif de la jeune fille se leva vers la statuette, et ses
levres s'ouvrirent pour laisser echapper ces paroles: "Grand Saint,
faites retrouver a mon pere ce qu'il a perdu."
En-ce moment la porte s'ouvrait, et M. D*** venait avertir sa femme
qu'il allait sortir.
Il avait tout entendu et se demandait tout en marchant ce que cela
pouvait bien etre. "Qu'ai-je donc perdu, se disait-il? C'est sans
doute ma femme qui aura egare quelque chose...; mais quelle idee
d'aller redemander cela a cette statue! Apres tout, peu importe! Elle
est si bonne epouse et si bonne mere!... C'est egal, il faut que je
lui dise de ne pas s'inquieter, car enfin si j'avais perdu une chose
serieuse, je le saurais bien."
Comme on etait aux premiers jours de juin, M. D*** jugea que la soiree
assez belle lui promettait plus de jouissance a la campagne qu'entre
les quatre murs de la loge. "Une idee! se dit-il en se frap
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