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fortune. La reprobation terrible qui pese sur sa race, eloigne de lui
jusqu'aux moins chretiens de nos camarades. On le voit toujours dans
le coin le plus desert de notre cour, ou le poursuivent encore les
injures et les railleries d'un age sans pitie. Cependant il est doux
et semble resigne par avance a toutes les amertumes de la vie, dont
celles du college ne sont qu'un avant-gout. Quelquefois la nature
l'emporte et le malheureux enfant eclate en sanglots; il se cache le
visage entre les mains et pleure des heures entieres.
Depuis longtemps je pense a l'aborder. Je voudrais consoler un peu
cette precoce affliction, tenir compagnie a cette solitude prematuree;
mais je n'ose. Isaac n'est pas sans quelque sauvagerie; ses malheurs
et son abandon lui ont inspire la defiance. Quelques mechants coeurs,
comme il en est meme au college, ont encore contribue a augmenter
cette defiance, en venant solliciter l'amitie de l'orphelin et en
trahissant ensuite, avec tous les secrets confies, un coeur si
desireux d'abord de se communiquer, mais que l'infortune avait rendu
susceptible a l'exces et incapable de se livrer deux fois.
L'autre jour, une de ces tristes scenes qui se renouvellent trop
souvent, est venue ajouter de nouvelles douleurs a celles de celui que
j'aime en secret. Je sortais du parloir au milieu de la plus longue
de nos recreations; tout a coup j'entends de grands cris. Je me hate,
j'arrive devant tous nos camarades rassembles. Ils etaient en grande
agitation. "Qu'y a-t-il?--C'est Isaac qui nous a denonces," me repond
le plus colere. Et il entame une longue histoire a laquelle chacun
veut ajouter son trait. C'etait encore une accusation banale et
sans fondement. Les preuves abondaient, la haine suggerait les plus
detestables hypotheses a ces petites tetes mechantes et enflammees; on
accueillait tout, pourvu que tout fut contraire a l'accuse. Tristes
juges comme on en voit tant dans un monde qui n'a plus la jeunesse
pour excuse!
Isaac n'etait pas la, mais bientot nous le vimes paraitre, accompagne
du superieur qui s'eloigna quelques secondes apres, laissant le
pauvre enfant en proie a la cruaute de ses ennemis. Oh! ce mot de
_cruaute_ n'est pas trop fort. On l'injuria, et les injures bientot
furent suivies de pierres. Un fils de boucher, qui sans doute avait
vu avec quelque profit son pere assommer des boeufs a l'abattoir,
s'elanca enfin sur lui et de ses gros poings lui mit la figure en
sang.
J'etais p
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