la journee; je
n'avais le temps d'apprendre mes roles que la nuit, pres du lit de
ma pauvre mere. C'est ici que Dieu a ete bon et indulgent pour moi.
J'avais fort peu d'appointements, quoique premiere. Eh bien! mon
Pere, malgre cela, pendant quatre mois et demi, ma mere etant au lit,
depensant beaucoup d'argent que je n'avais pas, je n'ai pas fait de
dettes, et je m'en suis tiree. Je devais tomber malade de fatigue et
de chagrin, pas du tout: c'est que je priais Dieu, et Dieu aide ceux
qui prient de tout leur coeur.
"La derniere nuit que je passai pres de ma mere, je ne comprenais pas
que ce fut l'agonie. Enfin sa derniere parole fut: "Maria, je t'aime!"
et elle rendit le dernier soupir. Oh! mon Pere, quelle nuit! Je
n'avais pas quitte ma mere un seul instant de ma vie, et je me
trouvais a vingt ans, seule, sans parents, sans soutien, sans fortune,
sans Dieu, car je ne le possedais pas encore. Je jurai a ma mere, sur
ce corps inanime, sur cette main qui m'avait benie, que toujours je
serais digne d'elle. J'allais tous les jours au cimetiere Montmartre,
et, en rentrant, je me mettais a genoux au milieu de ma chambre;
j'avais le portrait de ma mere la devant moi; j'avais un Christ qui
avait ete pose sur son corps; je baisais ce Christ, je baisais le
portrait, et ma vie se passait entre ces deux images.
"Enfin j'allai vous entendre, mon Pere; vous eclaircissiez des idees
confuses dans ma tete. Je suis bien ignorante encore en matiere de
religion; j'aime avec amour Jesus et Marie. Pourquoi? comment? je n'en
sais rien; je les aime et voila tout.
"La seulement je compris ma position. "Sainte Vierge, dis-je alors, le
theatre sans vous, ou vous sans le theatre. Ah! mon choix est fait.
Mais pour arriver a vous, o Marie, comment faire?" Le dimanche de la
Quasimodo, je vous vis de plus pres; je m'etais mise au pied de la
chaire. "Je vais ecrire a M. de Ravignan, dis-je; il est impossible
qu'il n'obtienne pas cette grace de Mgr l'archeveque: il faut que je
communie." Je vous ecrivis, mon Pere, vous savez le reste; mais ce que
vous ne savez pas, c'est que mon esprit n'est plus le meme, mon coeur
non plus: les pieuses femmes que vous m'avez fait connaitre ont change
tout mon etre.
"Oh! merci, mon Dieu! merci, mon Reverend Pere! Votre zele a tout
fait. J'ai communie, c'est vous dire que je suis la plus heureuse
des femmes, et j'etais entouree de Mmes de Gontaut, Levavasseur et
d'Auberville. Ah! autrefois je croyais aimer Dieu
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