et
n'allant jamais au dela de ce que je lui demandais. Aussi ce ne fut
qu'en le poussant et en le pressant par mes questions, que je parvins
a savoir, en quelques mots bien simples, sa touchante histoire.
--Quel age avez-vous? lui dis-je d'abord.
--Quarante-cinq ans, mon pere.
--Combien y a-t-il que vous etes ici?
--Il y a dix ans.
--Devez-vous y rester encore longtemps?
--A perpetuite, mon pere.
--Quelle est donc la cause de votre condamnation?
--Le crime d'incendie.
--Sans doute, mon pauvre ami, vous avez beaucoup regrette d'avoir
commis cette faute.
--J'ai beaucoup offense Dieu, mon pere, mais je n'ai point commis ce
crime. Toutefois, je suis justement condamne; mais c'est Dieu qui m'a
condamne.
Cette reponse piquant plus vivement encore ma curiosite, je repris:
--Mais que voulez-vous donc dire, mon ami? expliquez-vous.
Alors il me repondit:
--J'ai beaucoup offense le bon Dieu, mon pere; j'ai ete bien coupable,
mais jamais envers la societe. Apres une foule d'egarements, le bon
Dieu toucha mon coeur.
"Je resolus de me convertir, de reparer le passe; mais depuis ma
conversion, il me restait une inquietude, un poids enorme sur le
coeur. J'avais tant offense le bon Dieu? pouvais-je croire qu'il eut
tout oublie? Et puis, je ne trouvais rien qui fut de nature a reparer
ces iniquites malheureuses de ma jeunesse, et je sentais un besoin
immense de reparation! Sur ces entrefaites, un incendie eclata pres de
ma demeure. Tous les soupcons tomberent sur moi; on m'arreta, et on me
mit en jugement. Pendant la procedure, je fus beaucoup plus calme que
je ne l'avais jamais ete; je prevoyais bien que je serais condamne,
mais j'etais pret a tout. Enfin arriva le jour ou on devait prononcer
ma sentence. Le jury quitta la salle pour aller deliberer sur mon
sort, et dans ce moment, il me sembla entendre une voix interieure qui
me disait: Si je te condamne, je me charge aussi de faire ton bonheur
et de te rendre la paix. A cet instant, je ressentis effectivement une
paix delicieuse. Les jures revinrent bientot, apportant leur verdict,
qui me declarait convaincu du crime d'incendie, avec circonstances
attenuantes; j'etais condamne aux travaux forces a perpetuite. Je fus
oblige de me contenir pour ne pas verser des larmes, qu'on aurait sans
doute attribuees a tout autre motif qu'a celui du sentiment de bonheur
que j'eprouvais. On me conduisit a mon cachot, et la, tombant sur
la paille qui me servait de l
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