me trouvai tres embarrasse: je dinais en ville et
j'avais dispose de ma soiree; mais la pensee de porter dans une maison
profane ma petite rose benite me fit rougir interieurement. Je rentrai
chez moi, je la suspendis au portrait de ma mere. Pauvre mere! il me
sembla qu'elle me regardait plus tendrement. Peut-etre etaient-ce ses
prieres qui, du haut du ciel, avaient guide mes pas. Toujours est-il
que j'etais reste chez moi par une force d'attraction plus puissante
que ma volonte. Je passai mon temps a mediter sur les petites choses
qui amenent souvent de grands effets. Je ne puis pas dire tout ce que
je confiai de pensees tumultueuses a ma rose mystique: c'etait presque
une confession, et la petite goutte de rosee benie qui reposait au
fond de son calice etait le baume consolateur que j'appliquais sur
les blessures orageuses de mon coeur. "Qui sait, murmurai-je en
m'endormant, si je ne retournerai pas dans cette eglise, et si, te
tenant a la main, je n'irai pas trouver ce bon religieux? Elle m'amene
a vous repentant et converti!" lui dirai-je.
* * * * *
41.--UN SOUVENIR DU BAGNE.
Un religieux plein de zele, qui venait de remplir son saint ministere
aupres des forcats de Rochefort, le P. Lavigne, ne pouvait se lasser
d'admirer les merveilles de la grace sur ces pauvres ames si cheres
au Bon Pasteur. Prechant dans la chapelle d'une Maison religieuse, a
Paris, il racontait un fait admirable qui atteste l'etonnante bonte de
Dieu en faveur d'un pecheur penetre d'un sincere repentir.
"Il y a un homme, dit-il, dont le souvenir s'est empreint dans mon ame
d'une maniere ineffacable, un homme que je place au-dessus de tous les
religieux et de toutes les religieuses: c'est un saint que je venere,
et cet homme, ce saint, c'est un forcat.
"Un soir, il vint me trouver au confessionnal, et, apres sa
confession, je lui adressai quelques questions, comme j'avais assez
souvent coutume de le faire avec ces infortunes. Cependant, cette
fois, un motif plus particulier m'engageait a interroger celui-ci.
J'avais ete frappe du calme repandu sur ses traits. Je n'y fis pas
d'abord grande attention, car j'avais eu l'occasion de remarquer la
meme chose chez plusieurs de ces malheureux. Neanmoins, la precision
avec laquelle il s'exprimait, l'exactitude rigoureuse et le laconisme
de ses reponses piquaient de plus en plus ma curiosite.
"Il me repondait sans affectation, ne disant pas un mot inutile,
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