tombait vaincu par le feu qui regne au desert, et l'immobilite
ardente reprenait possession de l'etendue.
Le missionnaire avancait, pressant l'allure de son cheval, pour
arriver avant la nuit a la grande ville, terme de son voyage. Car la
nuit, dans ces plaines d'Afrique, appartient aux fauves. Quand les
premieres ombres descendent du ciel, les premiers bruits des lions et
des pantheres montent de tous les points du desert, d'abord confus
et lointains, comme le gemissement du vent, puis plus forts, plus
distincts, semblables tantot au grondement sourd du tonnerre, tantot
a ses eclats rudes et dechires. Ce moment redoute approchait, mais il
n'etait pas encore imminent, et le pretre de Jesus-Christ avait bien
une heure devant lui, une heure de jour et de marche tranquille,
suffisante pour atteindre le port. Il etait arme, il avait des
provisions de bouche, un flacon de rhum, pour ranimer ses forces et
tremper ses levres brulantes. Il priait, il pensait, cherchant
a lutter contre la sensation etouffante de la solitude, contre
l'oppression de l'espace sans limites ou sa vue, son coeur et son
esprit se perdaient. Il avait beau percer de ses regards l'etendue, il
n'apercevait pas un etre vivant, pas un mouvement, pas meme celui du
sable agite par le vent: le vent dormait sur le sable, d'un sommeil
qui semblait eternel.
Oh! si la bonte de Dieu mettait sur son chemin une de ses creatures,
un etre humain, un frere, quelle joie inonderait son coeur! comme il
volerait a lui! Avec quels transports il lui tendrait la main, et le
presserait dans ses bras! Mais helas! il ne le savait que trop, une
rencontre en ces lieux, ce ne serait qu'un danger de plus: quand
on trouve sur sa route un homme au desert, au lieu d'un frere a
embrasser, c'est un ennemi a combattre; c'est un de ces arabes
pillards ou de ces Europeens declasses, bandits de la solitude,
detrousseurs de caravanes, qu'il faut aborder, non pas le salut aux
levres, mais le revolver a la main.
Il se perdait en ces pensees, et berce par l'allure monotone de son
cheval, il laissait flotter a l'aventure son esprit et ses guides,
quand tout a coup il se redresse sur ses etriers, et d'un mouvement
instinctif, arrete sa monture. Qu'a-t-il donc apercu a l'horizon?
Est-ce une illusion de ses sens? N'y a-t-il pas la-bas, bien loin,
quelque chose qui se remue?--Certainement, il ne se trompe pas:
le point noir qui a frappe sa vue s'agite, se rapproche, grossit
insensiblement. C'est
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