-LES DEUX FRERES
Deux freres entrerent en meme temps dans un college de France; ils
se ressemblaient si parfaitement quant a la taille et aux traits du
visage, qu'il fallait les avoir vus souvent pour les distinguer l'un
de l'autre: mais ils etaient bien differents de caractere: l'aine
n'avait presque aucun sentiment de religion; le cadet etait d'une
piete angelique. On ne saurait imaginer tous les moyens que sa charite
lui suggera pour gagner son frere. C'etait peu pour lui de lui
accorder ce qu'il demandait; il allait au-devant de tout ce qui
pouvait lui etre agreable; il se privait, en sa faveur, de tout
l'argent qu'on lui accordait pour ses menus plaisirs. On leur donna a
tous deux un costume neuf de tres grand prix; l'aine, en peu de temps,
mit le sien en mauvais etat; celui du cadet etait encore tres propre.
Ne sachant plus quel present faire a son frere, il imagina de lui
donner son habit.
"Vous etes mon aine, lui dit-il, il convient que vous soyez mieux
habille que moi: votre habit est gate; si le mien vous fait plaisir,
je vous le donnerai, on n'en saura rien chez nous."
L'offre est aussitot acceptee et l'echange fait.
Quelques jours apres, le pieux enfant appelle son frere et lui dit
qu'il avait quelque chose a lui communiquer.
"Auriez-vous encore un habit a me donner? lui dit celui-ci.
--Oui, lui repond l'enfant, et un bien plus precieux que celui que je
vous ai donne dernierement; allez demain a confesse; reconciliez-vous
avec Dieu, c'est lui-meme qui vous en revetira.
--A confesse, repondit l'autre, vraiment j'y vais assez souvent; si,
cependant, il ne faut que cela pour vous contenter, j'irai bien encore
demain, mais je ne vous garantis pas que j'en deviendrai meilleur.
--Promettez-moi au moins, repliqua le cadet, que vous ferez pendant
deux jours quelques efforts pour le devenir."
L'aine le lui promit.
Le lendemain, ils allerent tous deux a confesse; ils avaient le meme
confesseur. Le cadet se confessa le premier, et se retira devant le
Saint-Sacrement, pour demander a Dieu qu'il lui plut de toucher son
frere. L'aine raconta depuis, qu'en entrant au confessionnal, tout ce
que son frere avait fait pour lui se presentant a son esprit, il eut
honte de lui-meme, et ne fut plus maitre de retenir ses larmes. Il
dit a son confesseur qu'il voulait bien sincerement se convertir et
consoler son frere des chagrins qu'il lui avait causes jusqu'alors.
Pendant toute sa confession, il versa un torr
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