vant l'hotel
Racine, moins poetique et moins elegant que son nom. La, il parut
hesiter encore, puis prenant son parti: "Entrons," me dit-il. On sait
ce que sont ces hotels d'etudiants. Nous montames quatre etages.
Parvenus au quatrieme, nous vimes une clef sur la porte, n deg. 78,
Paul entra sans frapper, et me fit signe de le suivre. Un emouvant
spectacle m'attendait.
Sur un lit fort propre, tendu de rideaux de toile verte, je reconnus a
l'instant Jacques Fael, le persecuteur, le bourreau de Paul Savenay.
Il etait evidemment en convalescence; mais sa paleur, ses yeux cernes,
son visage amaigri, prouvaient qu'il venait de subir l'horrible crise.
Sa soeur, vetue de noir, etait debout a son chevet, un rayon de soleil
d'avril egayait la chambre.
En me voyant, Jacques poussa un cri de surprise; puis, brusquement,
presque violemment, imposant silence d'un geste a Paul, qui voulait
parler:
"Non, vois-tu? lui dit-il; non, Paul, tu ne veux pas que j'etouffe,
n'est-ce pas? Quand je devrais retomber malade, il faut, entends-tu
bien? il faut que notre camarade sache... ce qu'il a deja devine! Il
a ete le temoin de mes infamies, de tes souffrances; il faut qu'il
apprenne ce qu'a ete la revanche du chretien contre le mecreant, du
saint contre le miserable. Tais-toi! tais-toi!... Noemi, dis-lui de se
taire et de me laisser la parole!... Il y a un mois, j'etais encore
tel que tu m'as connu... Non, Armand, j'etais pire: impie, athee,
mechant, libertin, mangeur de pretres, corrompu jusqu'aux moelles. Le
29 mars, jeudi de la mi-careme, j'avais fait la noce avec quelques
compagnons de debauches... je rentre a minuit... une heure apres, je
me tordais sur ce lit, en proie a des convulsions effroyables... La
tete en feu, le corps glace, tous les symptomes du cholera... et
j'etais seul, seul au monde... Ma soeur Noemi, au fond de la Bretagne,
chez une vieille tante..., mes parents morts..., point d'amis... le
vice et l'impiete n'en donnent pas... Oui, seul dans ce miserable
hotel, sur que, si j'avais la force d'appeler, l'hotesse epouvantee
me ferait jeter sur un matelas, et me crierait d'aller mourir dans la
rue... Oh! quelle nuit! L'enfer anticipe, moi qui ne croyais pas a
l'enfer!... Tais-toi, Paul, je t'en prie, laisse-moi parler!... A sept
heures, au paroxysme de mes tortures et de mon desespoir, ma porte
s'ouvre, et je vois entrer Paul Savenay... Paul, ma victime, mon
martyr!... Ah! je crus d'abord a une apparition vengeresse...
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