il
arriva que le seigneur tomba mortellement malade. Alors il s'appreta
a faire son testament; mais, comme dans ses bons jours il s'etait peu
occupe des pauvres et avait encore moins reflechi aux quatre choses
supremes, c'est-a-dire a la mort, au jugement, au ciel et a l'enfer,
il n'en fit pas plus alors que par le passe; il institua ses plus
proches parents heritiers de tous ses biens; quant a des aumones ou
d'autres dispositions charitables, il n'en fut point question. Pas un
signe non plus pour la confession ni pour le saint Viatique.
En attendant, on pleurait et on gemissait dans le chateau, a la pensee
que le bon seigneur allait bientot quitter ce monde. Le bouffon,
averti de ce qui se passait, courut droit a la chambre et au lit du
malade, et lui demanda d'un air triste: "Maitre, j'apprends que vous
allez partir? Est-ce vrai?--Oui, repondit le malade d'une voix a
moitie brisee, oui, mon heure approche.--Ou voulez-vous donc aller?
Les chevaux sont-ils deja equipes, la voiture est-elle deja attelee?
Et vous, etes-vous tout pret a partir?--Je n'en sais rien.--Mais vous
devez pourtant savoir a quelle distance vous allez, et combien de
temps vous resterez dehors? Est-ce un mois, quinze jours, ou toute une
annee?--Je n'en sais rien.--Mais au moins reviendrez-vous?--Ah!....
peut-etre jamais!...--Ainsi, repondit le bouffon d'une voix severe et
convaincante, avec un regard penetrant, vous faites un si grand voyage
que vous ne savez pas meme si vous reviendrez, et vous ne faites pas
un seul preparatif pour une route aussi longue et aussi dangereuse?
Tenez, prenez la baguette de fou, ajouta-t-il en la posant sur le lit
du malade, car vous etes un bien plus grand fou que moi!"
Le malade commenca tout a coup a y voir clair; il reconnut, a sa
honte, que le bouffon n'avait jamais dit une verite plus grande. Et
alors, il fit distribuer beaucoup d'argent aux pauvres et se prepara a
faire le voyage en chretien[8].
[Note 8: Cette anecdote, deja ancienne, est rapportee par
Guillaume Pepin, ecrivain ecclesiastique.]
* * * * *
22.--UN EPISODE DE LA REVOLUTION.
Pendant la crise la plus furieuse de la Revolution, quand Robespierre
etendait son sceptre de fer sur la France, quand Carrier se signalait
par ses noyades a Nantes, Lebon par ses massacres dans le midi, et
Javogues par ses fureurs dans le Forez, la fermete courageuse des
saints missionnaires de ces pays persecutes ne se laissai
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