s sanglantes scenes
de la Revolution, s'etait enrichi en achetant des terres de Vendeens,
puis ruine dans des speculations equivoques. Tout irritait Jacques
contre Paul Savenay; un heritage de haine, le retour des Bourbons,
l'animosite instinctive du vice contre la vertu, du mal contre le
bien, de l'atheisme contre la foi, du diable contre le bon Dieu; mais
ce qui l'exasperait le plus, c'etait la douceur de Paul, sa patience
inalterable que, naturellement, Jacques taxait de lachete et
d'hypocrisie.--Tu es donc un lache? lui disait-il en lui montrant
le poing.--Je ne le crois pas, repondait Paul avec un accent de
resignation qui aurait desarme un tigre. Son persecuteur ne lui
laissait pas un moment de treve, et le harcelait de la facon qui
devait le plus cruellement blesser cette ame tendre, chaste, exquise
et pieuse. Non content de le traiter de cagot, de Basile, de tartufe
et de cafard. Jacques joignait le blaspheme a l'insulte, le sacrilege
a l'outrage. Il glissait de mauvais livres dans le pupitre de Paul
et lui jouait les plus vilains tours. Nous sumes plus tard que ses
brutalites s'etaient parfois envenimees jusqu'aux voies de fait:
bourrades, brimades, coups de poing, coups de regle: un jour meme, un
coup de canif qui fit couler le sang. La plupart des eleves feignaient
de ne pas s'apercevoir de ces abominables violences. Quelques-uns
avaient l'infamie d'applaudir avec des ricanements stupides. Jacques
n'avait pas, en somme, l'air bien feroce; mais etait grand, bien
decouple, taille en athlete. On le redoutait et il avait sa petite
cour de complaisants et de flatteurs. Lorsqu'indigne de sa mechancete
et attire vers Paul Savenay par d'irresistibles sympathies, je
risquais, moi chetif, quelques reproches: "Tais-toi ou je t'assomme!
me disait cet enrage; tais-toi, mauvaise graine d'emigre!" J'aurais
certainement eu ma part de ses injures et de ses coups, si je n'avais
trouve un admirable defenseur en la personne de Gaston de Raincy.
Le martyre de Paul Savenay dura deux ans et pendant ces deux ans, pas
une plainte. S'il versait en secret quelques larmes, il ne pleurait
pas sur ses souffrances, mais sur les egarements de cette pauvre
ame, revoltee contre Dieu. Un matin, me rencontrant a la porte de
Saint-Sulpice, et me croyant meilleur que je n'etais, il me dit:
"Armand, allons prier pour lui!" Je lui repondis: "Paul, tu es un
saint... le saint de Guerande, et c'est sous ce nom que je veux
desormais te connaitre et t
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