un etre vivant, un animal ou un homme.--Un
homme, c'est un homme! Il le voit maintenant, il distingue vaguement
sa forme; cet homme l'a vu, lui aussi; il est evident qu'il s'avance
dans sa direction... Que faire! Quel parti prendre? Faut-il pousser
son cheval au galop et se mettre hors de la portee de cet inconnu?
C'est le parti le plus sur, mais est-ce le plus honorable? Si, au lieu
d'etre un voleur arabe, cet homme etait un chretien, un francais? Et
quand meme il serait un coureur du desert, un bandit, est-ce le fait
d'un missionnaire, d'un apotre de Jesus-Christ, de fuir devant une
creature humaine, devant un de ceux pour qui le Sauveur du monde est
mort sur la croix?
L'hesitation du pretre n'est pas longue. Il attendra le frere qui
vient au-devant de lui, que ce soit Cain ou Abel. L'hote du desert se
rapproche de minute en minute, il semble a la fois se hater d'accourir
et lutter contre la fatigue. Le voila a une petite distance, on dirait
un spectre ambulant. Il est deguenille; sa main tient un fusil;
ses yeux sont allumes de fievre, de haine et de convoitise. C'est
indubitablement un brigand, mais un brigand europeen: c'est en tout
cas, un malheureux devore de besoin. Le pretre n'hesite plus: il
risque peut-etre sa vie, mais il a la chance de secourir un miserable,
de sauver une ame. Apres tout, c'est son metier de s'exposer a la
mort: le corps d'un missionnaire n'est rien; l'ame d'un pecheur est
d'un prix infini.
Il descend de cheval, jette ses armes a terre pour montrer a l'inconnu
ses dispositions pacifiques, et d'un pas tranquille et ferme, va
au-devant de lui. L'autre etonne, epuise, s'arrete; la surprise est
plus forte que la haine; mais la faim, la soif devorante, voila ce
qui domine tout le reste. Le pretre le devine, et, sans parler, lui
presente ses provisions, des fruits, des dattes, du rhum.--Du rhum!
C'est la force, c'est la vie! Pour cette gourde de rhum, le malheureux
aurait tue son pere! Il etend la main, saisit la gourde, la porte a sa
bouche, la boit, l'aspire a longs traits. Son visage se ranime, son
sang circule, sa paleur mortelle fait place a une vive rougeur. Tout
a coup, il chancelle; il a bu trop et trop vite, il tombe tout de son
long et demeure sur le sol, inerte, engourdi, comme mort.
Le missionnaire, effraye, se penche vers lui, tate son pouls, ecoute
les battements de son coeur, et respire; ce n'est pas la mort, c'est
le sommeil bienfaisant et reparateur. Il le considere longue
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