ment; a sa
carnation, a la couleur de sa barbe et de ses cheveux, il reconnait un
Francais. Malgre les traces des passions et de la fatigue, il croit
lire sur ce visage devaste les vestiges d'une bonne race, et son
ame d'apotre se remplit de reconnaissance et de joie. Soudain, il
tressaille comme s'il sortait d'un reve. Le soleil va disparaitre, et
son orbe agrandi et rutilant est deja a demi cache. Encore quelques
minutes et la nuit aura remplace le jour. Que faire de cet infortune
que la Providence a envoye sur sa route et dans ses bras? Le charger
sur son cheval? C'est impossible; il connait le poids d'un corps qui
s'abandonne. Le laisser la, seul, la nuit, dans le desert, expose aux
dents des betes feroces, a une mort sans consolations? C'est plus
impossible encore.
Il n'y a pas a hesiter; il attendra le reveil du pecheur, sous
la garde de Dieu qui ne laissera pas inachevee l'oeuvre de sa
misericorde. Il s'agenouille sur le sable, pres de cet homme qu'il ne
connaissait pas une heure avant, et pour lequel il sacrifierait sa vie
avec joie. Il souleve doucement dans ses mains la tete du dormeur, la
pose sur ses genoux, et il entre en prieres.
La nuit est arrivee, profonde, solennelle, ivre de silence et de
solitude. Deux heures se passent ainsi, sans qu'aucun des deux hommes
ait fait un mouvement. Les etoiles se sont allumees les unes apres
les autres et repandent sur l'ocean de sable une lueur mysterieuse et
sacree. Les anges contemplent du haut du ciel ce spectacle plus beau
que celui d'un ami veillant sur son ami, d'une mere veillant sur son
enfant, le spectacle d'Abel veillant avec amour sur Cain: tel, au
temps du sejour du Fils de Dieu sur la terre, Jesus priait dans les
plaines de Galilee aupres de Judas endormi.
Enfin, l'homme se reveille. Il releve la tete, ouvre les yeux et
rencontre ceux de ce pretre a genoux qui le regarde avec une ineffable
tendresse. Alors il se souvient, il devine, il comprend tout; il se
met a trembler des pieds a la tete, comme ces possedes d'Israel au
moment ou le demon sortait de leur corps et de leur ame a la voix de
Jesus-Christ. La haine est vaincue, Satan s'enfuit de cette ame pour
n'y plus rentrer. Le bienheureux larron pleure, il eclate en sanglots,
et, sans prononcer une parole, il se laisse tomber dans Tes bras du
missionnaire, qui le presse sur son coeur en lui disant: Mon frere!
Quand il eut mange, le pretre le fit monter sur son cheval et marcha
pres de lui, priant
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