toujours et ne lui disant rien, pour le laisser
tout entier a la grace divine qui parlait au fond de son ame. Ils
arriverent a la ville sans rencontre facheuse. Le missionnaire fit
coucher le prisonnier de sa charite dans son lit, et dormit pres de
lui sur quelques coussins. "Demain, lui dit-il, vous me direz tout ce
que vous voudrez. Aujourd'hui, je ne veux rien entendre."
Le lendemain, l'homme lui raconta son histoire, prelude de sa
confession: histoire terrible, commencee par une jeunesse sans
corrections et sans travail, poursuivie dans le vice, dans le crime,
et qui, par un prodige de la misericorde divine, s'achevait dans les
larmes du repentir.
Sa mere, brave paysanne, restee veuve de bonne heure, l'avait
impitoyablement gate pour epargner quelques pleurs a son enfance.
Il avait ete a l'ecole, parce qu'il l'avait bien voulu; s'y etait
instruit, parce qu'il avait l'esprit vif et ouvert; puis s'etait livre
a la paresse, au plaisir, bientot au vice. A dix-huit ans, c'etait
deja un mauvais sujet accompli. Il s'engagea par ennui, pour connaitre
la vie de la caserne, et courir les garnisons. Puis, le joug de la
discipline gatant ses plaisirs, il demanda une permission, revint au
village, en deguerpit un matin avant le jour, sans embrasser sa mere,
mais non sans l'avoir devalisee, et ne reparut plus au regiment. Il
passa aux Etats-Unis, y gagna une petite fortune qu'il depensa en
folles orgies. Alors, dans un acces de raison, peut-etre de remords,
il quitta l'Amerique pour l'Algerie, se remit a l'oeuvre, et mena
pendant quelque temps une conduite reguliere et laborieuse.
Il commencait a se refaire de corps, d'ame et de bourse, quand le
demon envoya sur son chemin un de ses anciens compagnons de debauche,
deserteur comme lui, qui le reconnut, chercha a l'entrainer de nouveau
dans le vice, et n'y pouvant reussir, revela son passe et le perdit de
reputation.
Sa tete ne put resister a ce dernier coup. "Puisque je ne puis etre un
honnete homme, se dit-il, je serai un franc scelerat." Et il fit
comme il avait dit. Il quitta la grande ville ou toutes les portes se
fermaient devant lui, s'enfuit au desert, et demanda a la rapine et au
meurtre des moyens d'existence. Bientot il se trouva a la tete d'une
bande d'arabes, qui detroussaient les passants, les pelerins de la
Mecque, et vivaient comme lui de brigandage. Mais, par un reste de
pudeur, il ne s'attaquait qu'aux musulmans et evitait de verser le
sang des europeens
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