tion ne fait que
refracter plus richement le rayon central et prisonnier qui les traverse
et rendre plus etendue, plus precieuse et plus belle la matiere imbibee
de flamme ou il est engaine. Telle l'interpretation de la Berma etait,
autour de l'oeuvre, une seconde oeuvre vivifiee aussi par le genie.
Mon impression, a vrai dire, plus agreable que celle d'autrefois,
n'etait pas differente. Seulement je ne la confrontais plus a une idee
prealable, abstraite et fausse, du genie dramatique, et je comprenais
que le genie dramatique, c'etait justement cela. Je pensais tout a
l'heure que, si je n'avais pas eu de plaisir la premiere fois que
j'avais entendu la Berma, c'est que, comme jadis quand je retrouvais
Gilberte aux Champs-Elysees, je venais a elle avec un trop grand desir.
Entre les deux deceptions il n'y avait peut-etre pas seulement cette
ressemblance, une autre aussi, plus profonde. L'impression que nous
cause une personne, une oeuvre (ou une interpretation) fortement
caracterisees, est particuliere. Nous avons apporte avec nous les idees
de "beaute", "largeur de style", "pathetique", que nous pourrions a la
rigueur avoir l'illusion de reconnaitre dans la banalite d'un talent,
d'un visage corrects, mais notre esprit attentif a devant lui
l'insistance d'une forme dont il ne possede pas l'equivalent
intellectuel, dont il lui faut degager l'inconnu. Il entend un son aigu,
une intonation bizarrement interrogative. Il se demande: "Est-ce beau?
ce que j'eprouve, est-ce de l'admiration? est-ce cela la richesse de
coloris, la noblesse, la puissance?" Et ce qui lui repond de nouveau,
c'est une voix aigue, c'est un ton curieusement questionneur, c'est
l'impression despotique causee par un etre qu'on ne connait pas, toute
materielle, et dans laquelle aucun espace vide n'est laisse pour la
"largeur de l'interpretation". Et a cause de cela ce sont les oeuvres
vraiment belles, si elles sont sincerement ecoutees, qui doivent le plus
nous decevoir, parce que, dans la collection de nos idees, il n'y en a
aucune qui reponde a une impression individuelle.
C'etait precisement ce que me montrait le jeu de la Berma. C'etait bien
cela, la noblesse, l'intelligence de la diction. Maintenant je me
rendais compte des merites d'une interpretation large, poetique,
puissante; ou plutot, c'etait cela a quoi on a convenu de decerner ces
titres, mais comme on donne le nom de Mars, de Venus, de Saturne a des
etoiles qui n'ont rien de mythologique. N
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