n'avait pu avoir dans le passe, j'ajoutais celle qu'elle aurait dans
l'avenir, par un effort d'esprit inverse de celui qui consiste a se
representer des chefs-d'oeuvre au temps de leur grele apparition, quand
leur titre qu'on n'avait encore jamais entendu ne semblait pas devoir
etre mis un jour, confondu dans une meme lumiere, a cote de ceux des
autres oeuvres de l'auteur. Et ce role serait mis un jour dans la liste
de ses plus beaux, aupres de celui de Phedre. Non qu'en lui-meme il ne
fut denue de toute valeur litteraire; mais la Berma y etait aussi
sublime que dans _Phedre_. Je compris alors que l'oeuvre de l'ecrivain
n'etait pour la tragedienne qu'une matiere, a peu pres indifferente en
soi-meme, pour la creation de son chef-d'oeuvre d'interpretation, comme
le grand peintre que j'avais connu a Balbec, Elstir, avait trouve le
motif de deux tableaux qui se valent, dans un batiment scolaire sans
caractere et dans une cathedrale qui est, par elle-meme, un
chef-d'oeuvre. Et comme le peintre dissout maison, charrette,
personnages, dans quelque grand effet de lumiere qui les fait homogenes,
la Berma etendait de vastes nappes de terreur, de tendresse, sur les
mots fondus egalement, tous aplanis ou releves, et qu'une artiste
mediocre eut detaches l'un apres l'autre. Sans doute chacun avait une
inflexion propre, et la diction de la Berma n'empechait pas qu'on percut
le vers. N'est-ce pas deja un premier element de complexite ordonnee, de
beaute, quand en entendant une rime, c'est-a-dire quelque chose qui est
a la fois pareil et autre que la rime precedente, qui est motive par
elle, mais y introduit la variation d'une idee nouvelle, on sent deux
systemes qui se superposent, l'un de pensee, l'autre de metrique? Mais
la Berma faisait pourtant entrer les mots, meme les vers, meme les
"tirades", dans des ensembles plus vastes qu'eux-memes, a la frontiere
desquels c'etait un charme de les voir obliges de s'arreter,
s'interrompre; ainsi un poete prend plaisir a faire hesiter un instant,
a la rime, le mot qui va s'elancer et un musicien a confondre les mots
divers du livret dans un meme rythme qui les contrarie et les entraine.
Ainsi dans les phrases du dramaturge moderne comme dans les vers de
Racine, la Berma savait introduire ces vastes images de douleur, de
noblesse, de passion, qui etaient ses chefs-d'oeuvre a elle, et ou on la
reconnaissait comme, dans des portraits qu'il a peints d'apres des
modeles differents, on reconnait un p
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