e temps d'etre triste, car je ne
fus pas un instant seul. C'est qu'il restait du palais ancien un
excedent de luxe, inutilisable dans un hotel moderne, et qui, detache de
toute affectation pratique, avait pris dans son desoeuvrement une sorte
de vie: couloirs revenant sur leurs pas, dont on croisait a tous moments
les allees et venues sans but, vestibules longs comme des corridors et
ornes comme des salons, qui avaient plutot l'air d'habiter la que de
faire partie de l'habitation, qu'on n'avait pu faire entrer dans aucun
appartement, mais qui rodaient autour du mien et vinrent tout de suite
m'offrir leur compagnie--sorte de voisins oisifs, mais non bruyants, de
fantomes subalternes du passe a qui on avait concede de demeurer sans
bruit a la porte des chambres qu'on louait, et qui chaque fois que je
les trouvais sur mon chemin se montraient pour moi d'une prevenance
silencieuse. En somme, l'idee d'un logis, simple contenant de notre
existence actuelle et nous preservant seulement du froid, de la vue des
autres, etait absolument inapplicable a cette demeure, ensemble de
pieces, aussi reelles qu'une colonie de personnes, d'une vie il est vrai
silencieuse, mais qu'on etait oblige de rencontrer, d'eviter,
d'accueillir, quand on rentrait. On tachait de ne pas deranger et on ne
pouvait regarder sans respect le grand salon qui avait pris, depuis le
XVIIIe siecle, l'habitude de s'etendre entre ses appuis de vieil or,
sous les nuages de son plafond peint. Et on etait pris d'une curiosite
plus familiere pour les petites pieces qui, sans aucun souci de la
symetrie, couraient autour de lui, innombrables, etonnees, fuyant en
desordre jusqu'au jardin ou elles descendaient si facilement par trois
marches ebrechees.
Si je voulais sortir ou rentrer sans prendre l'ascenseur ni etre vu dans
le grand escalier, un plus petit, prive, qui ne servait plus, me tendait
ses marches si adroitement posees l'une tout pres de l'autre, qu'il
semblait exister dans leur gradation une proportion parfaite du genre de
celles qui dans les couleurs, dans les parfums, dans les saveurs,
viennent souvent emouvoir en nous une sensualite particuliere. Mais
celle qu'il y a a monter et a descendre, il m'avait fallu venir ici pour
la connaitre, comme jadis dans une station alpestre pour savoir que
l'acte, habituellement non percu, de respirer, peut etre une constante
volupte. Je recus cette dispense d'effort que nous accordent seules les
choses dont nous avons un lo
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