rte de son visage
ou les yeux tenaient beaucoup de place; mais sa voix elle-meme, je
l'ecoutais aujourd'hui pour la premiere fois. Et parce que cette voix
m'apparaissait changee dans ses proportions des l'instant qu'elle etait
un tout, et m'arrivait ainsi seule et sans l'accompagnement des traits
de la figure, je decouvris combien cette voix etait douce; peut-etre
d'ailleurs ne l'avait-elle jamais ete a ce point, car ma grand'mere, me
sentant loin et malheureux, croyait pouvoir s'abandonner a l'effusion
d'une tendresse que, par "principes" d'educatrice, elle contenait et
cachait d'habitude. Elle etait douce, mais aussi comme elle etait
triste, d'abord a cause de sa douceur meme presque decantee, plus que
peu de voix humaines ont jamais du l'etre, de toute durete, de tout
element de resistance aux autres, de tout egoisme; fragile a force de
delicatesse, elle semblait a tout moment prete a se briser, a expirer en
un pur flot de larmes, puis l'ayant seule pres de moi, vue sans le
masque du visage, j'y remarquais, pour la premiere fois, les chagrins
qui l'avaient felee au cours de la vie.
Etait-ce d'ailleurs uniquement la voix qui, parce qu'elle etait seule,
me donnait cette impression nouvelle qui me dechirait? Non pas; mais
plutot que cet isolement de la voix etait comme un symbole, une
evocation, un effet direct d'un autre isolement, celui de ma grand'mere,
pour la premiere fois separee de moi. Les commandements ou defenses
qu'elle m'adressait a tout moment dans l'ordinaire de la vie, l'ennui de
l'obeissance ou la fievre de la rebellion qui neutralisaient la
tendresse que j'avais pour elle, etaient supprimes en ce moment et meme
pouvaient l'etre pour l'avenir (puisque ma grand'mere n'exigeait plus
de m'avoir pres d'elle sous sa loi, etait en train de me dire son espoir
que je resterais tout a fait a Doncieres, ou en tout cas que j'y
prolongerais mon sejour le plus longtemps possible, ma sante et mon
travail pouvant s'en bien trouver); aussi, ce que j'avais sous cette
petite cloche approchee de mon oreille, c'etait, debarrassee des
pressions opposees qui chaque jour lui avaient fait contrepoids, et des
lors irresistible, me soulevant tout entier, notre mutuelle tendresse.
Ma grand'mere, en me disant de rester, me donna un besoin anxieux et fou
de revenir. Cette liberte qu'elle me laissait desormais, et a laquelle
je n'avais jamais entrevu qu'elle put consentir, me parut tout d'un coup
aussi triste que pourrait etre ma li
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